Matthieu Reynaert
Journal cannois d’un scénariste

Pendant le Festival de Cannes, Matthieu Reynaert, coscénariste d’A Perdre la Raison, nous a livré le récit exclusif de ses pérégrinations au bord de la belle Bleue. Matthieu connaissait les lieux, mais il les a abordés pour la première fois en tant qu’artiste et nous a confié ses impressions, nous a parlé de son stress, de la projection et des rencontres qu’il a faites là-bas.
Ce fut notre insider de luxe et la fulgurance de sa plume caustique nous a amusé, diverti et transporté dans les coulisses que beaucoup d’entre nous ne verront jamais.

Son journal a été publié au fil des jours à la manière d’un blog qui forme au bout du compte un formidable récit de cette expérience forcément unique. L’article le plus récent est en haut. Le premier, tout en bas. Et tous les instagrams sont aussi de lui.

Full Matthieu Projekt, quoi…

Pour savoir qui est Matthieu, lisez son portrait ICI .

 

 

 

 

Le Billet Cannois #8 : Par dessus les Alpes et « Au-delà des Collines »

 

 

Le hall de l’aéroport de Nice est plein à craquer. Il fait chaud. Encore une heure à attendre. Un flot d’émotions me repasse par le corps. Le stress, le soulagement, la joie, la fatigue, la fierté… Et même la course au WiFi pour envoyer mes billets à Cinevox. Pas fâché de rentrer moi!
Mercredi une autre aventure commence pour A Perdre la raison. Celle, bien plus importante et bien plus dangereuse, de la rencontre avec le public belge. Au festival, même si beaucoup nous échappe, on a l’impression de contrôler un peu ce qui lui arrive. En salles, nous serons tous impuissants. Notre rôle est passé. Ce frisson-là, devenir spectateur de son propre fait, c’est comme d’avoir préparé les coups d’une partie d’échec à l’avance et puis la regarder se dérouler les mains dans le dos. Ce frisson-là, comme Truffaut aimait le faire dire à ses personnages c’est une joie et une souffrance. Un peu comme de sauter en parachute. Enfin j’imagine, faudrait que j’essaye. Ou plutôt que j’écrive un nouveau film. Oui, c’est quand même plus prudent.

Un flot d’images me revient aussi. Des visages croisés au hasard ou volontairement, des sourires, des grimaces, Emilie sur scène et Marilyn un peu partout. Éternelle Marilyn, les yeux fermés et la bouche en cœur sur l’affiche officielle, trônant au-dessus des Marches. Elle semble nous inviter à faire confiance au cinéma, à nous laisser embarquer vers des vies et des sentiments autres. Pourtant, beaucoup disent que cette édition était trop élitiste. L’absence totale de « De Rouille et d’Os » au palmarès en est sûrement une preuve. Voilà un film qui a trouvé une bien belle balance entre exigence artistique et appel au public et qui est déjà un énorme succès en salles.

C’est un débat vieux comme les arts, et donc comme la civilisation (carrément!). Faut-il distinguer celui qui excelle pour qu’il trouve un plus large public, ou celui qui a déjà tout, sauf peut-être une reconnaissance pourtant bien méritée? Les aigris pourront toujours dire que la Palme n’est pas un gage de succès public. Et ils n’auraient pas tort, « Amour » ne sera jamais « De Rouille et d’Os » et du reste je doute que le réalisateur palmé hier en soit surpris. Pour ma part je regrette qu’on ait oublié Wes Anderson et je suis heureux de voir distinguer Mads Mikkelsen, excellent dans chacune de ses prestations. « La Chasse » est de ces films dont le sujet peut rebuter alors que leur exécution est parfaite. Et, oui, j’espère que le prix l’aidera à agrandir son public. Il le mérite.

Maintenant c’est la cabine de l’avion qui est pleine à craquer. Les moteurs ronronnent déjà. Autour de moi, j’entends parler flamand pour la première fois depuis dix jours. Le type à côté a une chemise Angry Birds Space et je suis un peu jaloux. La parenthèse va se refermer et c’est bien. « Mesdames et messieurs, nous allons bientôt décoller. Veuillez remonter votre tablette, remercier Cinevox et ses lecteurs et éteindre vos appareils électroniques ». Voilà, voilà, j’éteins.

 

Matthieu Reynaert

(twitter @jangorama)

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Le Billet Cannois #7 : « Antiviral »

 


Chers festivaliers,

Alors que nous approchons inexorablement de la fin des festivités, nombreux sont ceux d’entre vous qui se présentent chez nos praticiens atteints de symptômes caractéristiques. Afin d’éviter une surcharge de travail, la Société cannoise des Médecins de Cinéma vous propose ces quelques conseils de base.

En cas de jambes lourdes et/ou courbaturées, le diagnostic est simple. Trop de séances de cinéma. Nous vous conseillons de sortir dans la vraie vie. Si vous vous y trouvez encore, notre ville propose entre autres une longue bande asphaltée le long de la mer appelée Croisette où vous pourrez vous adonner à une activité salutaire pour vos membres endoloris: la promenade (pour plus d’informations, tapez « marche à pied » sur Google). Si vous êtes dans l’impossibilité de vous promener, essayez au moins de vous installer sur les côtés de la salle, afin de pouvoir étendre vos jambes.

Par contre en cas de mal à la voûte plantaire, le diagnostic est un peu différent. Trop de files! Nous vous recommandons d’accéder à un poste supérieur dans votre société d’audiovisuel afin de bénéficier d’un accès prioritaire. Mieux, tentez d’intégrer la profession de journaliste pour combiner accès prioritaire et séances réservées.

En cas de mal aux yeux, il est fréquent de constater que le patient s’est régulièrement installé trop près de l’écran de projection. Nous vous recommandons d’arriver suffisamment à l’avance pour éviter ce désagrément ou bien d’obtenir un accès prioritaire (cf. point précédent). Habituellement le contraste entre l’obscurité des salles et la lumière du soleil à l’extérieur peut aggraver ce problème, mais cette année ça va.

En cas de dépression légère ou d’humeur grise. Pensez à vérifier que vous n’avez pas visionné trop de films à caractère austère. Ils sont fréquents dans ce type de manifestation. Nous vous recommandons d’alterner les œuvres « d’auteur » avec des films dit de comédie, de préférence d’origine américaine et à forte contenance de chansons pop pour un effet, certes temporaire, mais immédiat.

Enfin, en cas de grosseurs au niveau du cou ou du crâne (syndrome dit « du melon », particulièrement fréquent chez ceux qui se sont vus décerner une récompense), nous prescrivons habituellement une à deux visions de Transformers 3 par mois. Ce film médiocre ayant récolté plus d’un milliard de dollars, cela devrait vous remettre les idées en place. Éventuellement, alternez avec Battleship, voire une demi-heure de Rien À Déclarer. Attention cependant, une exposition prolongée peut provoquer des effets indésirables tels que découragement, perte de motivation professionnelle. À utiliser avec responsabilité donc.

En suivant ces quelques conseils simples, vous pourrez vous épargner bien des peines et garder un agréable souvenir de votre passage au Festival de Cannes.

En espérant vous revoir l’année prochaine,

La Société cannoise des Médecins du Cinéma

PS: Trop occupé à fêter le prix d’interprétation d’Émilie Dequenne, j’ai aujourd’hui laissé mon espace éditorial à un message de santé publique.

 

Je vous aurais bien fait un pronostic du palmarès, mais les jurys sont bien souvent imprévisibles. Les bruits de couloirs ici voudraient que les négociations soient particulièrement difficiles cette année. Je me contenterai de vous livrer mes coups de coeur personnels, pour ce que ça vaut.

Palme d’Or: « Jagten », de Thomas Vinterberg

Prix du Scénario: Paul Laverty pour « The Angels’ Share » de Ken Loach

Prix d’interprétation masculine: Anielo Anera dans « Reality »

Prix d’interprétation féminine: Marion Cotillard dans « De Rouille et d’Os »

Prix de la mise en scène: Wes Anderson pour « Moonrise Kingdom »

Grand Prix: « Mud » de Jeff Nichols

À demain pour en finir!

 

 

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Le Billet Cannois #6  : « Vous n’avez encore rien vu »

 

 

Un buzz chasse l’autre, un coup de coeur succède à un coup de gueule, les grands films, les grands cinéastes et les stars sont tellement nombreux qu’ils finissent par former une espèce de magma frénétique. Telle est la règle du jeu cannois. Vous n’avez qu’un jour pour briller au soleil, il faut le rentabiliser. Les festivaliers sont comme des écoliers l’après-midi: leur attention est volatile.

 

 

Au point où certains monstres sacrés passeraient presque inaperçus. « Monstre sacré » une expression pas super élégante, mais qui convient bien au cas d’hier soir. George Lucas.

Il a beau être devenu une industrie tournant à vide à lui tout seul, il reste quelqu’un qui a changé la donne pour tous. Il a obtenu un passe-droit, comme ses potes Spielberg ou Coppola, on lui pardonne ses errances. Moi en tous cas, je l’avoue, j’étais comme une midinette sur mon transat du cinéma de la plage où Lucas producteur venait présenter « Red Tails ». Mes photos sont floues mais je m’en fous!

 

Bon, je ne m’appesantirai pas ici sur le résultat, histoire qu’on ne se quitte pas fâchés, George et moi. Non, plutôt sur la vision de ce petit homme mal habillé (encore un point commun avec ses potes) marchant difficilement dans le sable pour rejoindre une scène de fortune faites de tréteaux montés au-dessus de l’eau. Bien trop commun. Lucas il arrive en vaisseau spatial ou sur une chaise à porteurs. Comme si McCartney venait à ses concerts en métro, que Monet tapissait son atelier avec du papier-peint ou que Rodin faisait de la pâte à sel. Enfin je me comprends.

 

Mais ce que j’ai appris en passant un peu de l’autre côté du rideau cette année, c’est qu’à Cannes comme ailleurs, on n’a que le bien qu’on se donne. Je veux dire que l’usine à glamour fonctionne très bien à l’image (et c’est bien le principal), mais que la réalité est bien plus banale. Car les fêtes somptueuses, les robes de princesses, les bijoux étincelants et les suites de luxe, ce n’est pas le festival qui les fournit. Si vous venez présenter Madagascar avec Dreamworks, à vous les yachts et les soirées jet set. Si vous venez avec un oligarche déchu présenter un drame intimiste sur les vétérans de guerre moldaves, à vous le McDo bondé et les bouteilles d’eaux au Monoprix. Si vous venez présenter un drame belge à Un Certain Regard… Hé ben quelque part entre les deux quoi!

 

Hé oui, assez logiquement, à Cannes comme au cinéma, tout n’est qu’illusion! Mais n’allez pas croire que je me plains ou que je dénonce. Bien au contraire il y a là quelque chose de sain. Dans tout ce tumulte, on est toujours que qui on est dans « la vraie vie ». Et rien que ça peut donner de bonnes idées de films à venir à ceux qui se croiraient « arrivés ». Le glamour vous donne rendez-vous à votre hôtel pour monter à bord d’une voiture du protocole, il vous emmène seul au bas des Marches et vous y relâche dans la nature deux heures plus tard. Le reste de l’histoire c’est à vous de l’écrire. Moment vécu: vision de Sandrine Bonnaire en robe de soirée verte, errant paniquée dans une petite rue, ne sachant quelle voiture elle devait prendre ni où. À l’image du nouveau président d’ici, les stars à Cannes seraient finalement « normales ».

 

Alors George Lucas claudique dans le sable dans un costume mal ajusté. Il s’en fout et nous aussi. Il retournera demain dans ses collines californiennes, porter des chemises à carreaux et rêver à son prochain caprice. Attention George! Tu as laissé tomber ton passe-droit dans le sable. Tiens, voilà je te l’ai ramassé. De rien. Bon retour. Et merci pour tout.

 

Matthieu Reynaert

(twitter @jangorama)

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Le Billet Cannois #5  : « Amour »

 

 

L’ouragan est passé. Quelle belle tempête!

Sentiment confus. Envie de partager sa joie et son expérience et en même temps, tout cela étant déjà si public, envie de garder ce qui peut encore l’être pour soi. Comme une oasis, un petit « quantum of solace » au milieu des jeux de ce « casino royale ».

Ici n’est pas le lieu des remerciements. Ils seraient nombreux. Y compris vers certains journalistes dont l’analyse du film et l’esprit d’ouverture me font me dire que quel que soit le verdict des chiffres, il y a eu et il y aura des rencontres humaines, philosophiques mêmes, à travers cet objet qui va maintenant vivre sa vie loin de notre garde. Et puis bien sûr les applaudissements hier soir. Vacarme apaisant.

Le souvenir du moment même, de cette journée de présentation du film, restera sans doute plus prosaïque dans mon esprit. Dans les moments de stress on se réfugie volontiers dans l’attention portée au détail. J’ai ainsi obtenu quelques réponses à certaines questions rigoureusement pas existentielles que l’on peut se poser sur Cannes.

1) Qu’est-ce qu’on fait pendant la projection presse de l’après-midi?

On dort. Le rythme soutenu du festivalier augmenté de la fatigue nerveuse m’ont poussé à la sieste. Bien méritée, très profitable. Alea jacta est de toute façon.

2) De quoi on parle dans la voiture qui vous emmène aux Marches?

De la musique sur laquelle on va monter. Ce devait être « Femme je vous aime » de Julien Clerc (pourquoi? réponse en salle va!) ce fut « We Will Rock You » de Queen. C’est une fois autre chose.

3) Quand on est dans l’équipe d’un film en sélection officielle, Thierry Frémaux vous connaît par votre prénom et vous tape dans le dos.

Non.

4) Et c’est comment les Marches alors?!

Rapide. Il y a plein de photographes qui crient « Emilie! Emilie » ou « Tahar! Tahar! » ou encore « Tahar et Emilie! Tahar et Emilie! » mais aussi « Monsieur bougez, s’il vous plaît! ». Il y a un type du protocole qui vous dit d’avancer. Un autre qui vous demande de reculer. Et on est déjà en haut.

5) C’est cool de voir son nom sur le grand écran de Cannes?

Un peu plus que ça.

J’imagine qu’il y a encore bien des émotions à vivre à travers le destin qu’aura ce film. Et je me demande quelle place tiendra parmi elles l’aventure cannoise. Je dirai ceci: vivre cette consécration est une chose précieuse. La vivre avec quelqu’un qui vous a tenu chaud pendant la sieste de l’après-midi l’est encore plus. Mais je vous laisse là pour aujourd’hui. À la porte de mon oasis.

Matthieu Reynaert

PS: les chroniques reprennent jusqu’au lendemain du festival, les tweets aussi sur @jangorama.

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Le Billet Cannois #4  : « La Chasse »

 

 

Cette chronique est assez peu librement inspirée d’une histoire vraie.

 

Samedi 19 mai, un peu avant minuit. J’arrive dans les parages du Palais. Visiblement la séance de 22h se termine en retard, car il y a encore du monde qui descend. La foule sortante se mêle à celle qui voudrait entrer. Ça fait beaucoup de monde. Moi aussi je voudrais entrer. Ce soir c’est Dario Argento, le maître du giallo. Dracula. En 3D. À Cannes. Surréaliste donc à ne pas manquer. Faut croire que je n’étais pas le seul à m’être fait cette réflexion. Bon pas de panique. La salle est énorme. Il est rare que les séances si tardives soient complètes. Les sortants se dispersent. Je constate que les entrants sont plus nombreux que prévu. Plus nombreux qu’un matin peut-être…

 

 

Musique à fond, spots blancs et flash. La montée a commencé. Et on ne bouge pas. On voit pourtant du monde gravir ce tapis rouge. Ils viennent d’où? Ah ça bouge. Voilà, c’est bon… À moins que… On serait pas juste en train de se serrer? On rentre pas là, si? Et au loin ça monte, ça monte…

 

Mais ça y est! On rentre. Enfin, ça rentre. Moi je suis encore loin. Ça avance tout de même à bonne allure, mais on sait bien que ces choses-là se font toujours par vague. Et voici le ressac. On est à l’arrêt. Les premières notes d’Aquarium de Saint-Saëns retentissent. Signe que l’équipe du film est en marche(s). « Mesdames et messieurs, Dario Argento! ». Chance de rentrer après l’équipe: 0,1%. De notre purgatoire, on aperçoit un instant la silhouette grise du maestro, et celle, plus colorée, de sa fille Asia. Ils sont déjà passés.

 

Et soudain l’inespéré. La barrière se rouvre et laisse la foule littéralement s’engouffrer. En une minute je ne suis plus qu’à quelques mètres. J’y crois. Arrivée près de la barrière. La file se divise en deux. Gauche ou droite? Je suis au milieu. Allez, un pas à gauche. J’avance encore un peu. Plus de retour possible. Dans quelques secondes j’y serai. « Pardon monsieur, je peux voir votre badge? ». Allez, le type devant, sors le ce badge et vite! Tu sais bien que tu rentres pas sans, quand même?! « Il doit être dans mon sac… ». Et il cherche… File à l’arrêt. Et pendant ce temps à droite, la file file. Ça y est, il l’a trouvé. Ah non c’est pas le bon. Les gardes le pressent, le type s’énerve. Ça y est, il l’a déterré. Il entre et… « Désolé messieurs dames, c’est complet ». Vexation.

Être refoulé à au moins une séance c’est presque une tradition. Mais être le dernier devant la barrière, le premier pignouf qui rentre pas… Ça devient personnel. Vexation totale. Il est presque une heure du matin. Je ravale ma fierté et vais me coucher.

 

Dimanche 20. Réveil après une nuit plus longue que prévu. Première projection à 11h30. Tranquille (pensé-je). Petit coup d’œil au téléphone. 10h50! Je déjeunerai plus tard (pardon, petit-déjeunerai). Arrivée au pas de course devant le palais. Ils en sont déjà à l’étape fatale. La foule ne rentre plus que par petits groupes. À l’intérieur on doit compter les places. Au pire ça sera vingt minutes de perdues et je retourne me coucher. À seulement quelques mètres de la barrière, je n’y crois plus. Mais par principe je refuse d’inaugurer une série d’échecs. Un talkie-walkie crache: « Encore dix ». Je suis le onzième. Après Argento, adieu Vinterberg. « Encore dix ». Je rentre, la barrière se referme. Elle ne s’ouvrira plus. Petit coup de pouce du destin. La roue tourne… La roue tourne…

 

Dimanche 20. 22h. Obstiné, je retente Dracula en « séance du lendemain », dans la nettement plus petite salle du soixantième, en fait une grande tente installée sur le toit du palais. Comme il pleut des cordes depuis ce midi et que la file se fait dehors, je crois avoir ma chance même si je ne suis qu’une demi-heure en avance. Et bien m’en a pris, car en arrivant au niveau de la salle je constate qu’il n’y a… personne. Personne c’est quand même peu de gens. « C’est bien ici pour Dracula? ». « C’est annulé monsieur ». « À cause de la pluie? ». « À cause du mauvais temps. Le vent a déchiré la bâche ». Le vent a déchiré la bâche?! La roue s’est pris la tempête dans la gueule.

 

 

Matthieu Reynaert

(twitter @jangorama)

 

PS: Pas vu Dracula donc. Quant au Vinterberg: formidable. Merci la roue quand même!

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Le Billet Cannois #3 –  Auteur Anyways

 

 

 

Tradition cannoise méconnue à l’extérieur, la leçon de cinéma n’en reste pas moins un rendez-vous couru des cinéphiles et souvent très réussi. Cette année, elle était animée (une première) par un compositeur, le surdoué français Alexandre Desplats (sa filmo pouvant constituer une chronique à elle seule, je vous renvoie à IMDb en cas de trou de mémoire!).

Je me souviens aussi d’y avoir vu Wim Wenders, Oliver Stone, Luc et Jean-Pierre Dardenne… autant d’artistes qui parlent bien de leur travail, parce qu’ils ne le font pas au hasard. Ils tracent consciemment leur chemin dans les possibles du cinéma et, que l’on aime ou pas le résultat, on ne peut leur retirer cette profondeur-là. C’est à ce titre qu’on les nomme « auteurs », qualificatif très européen (pour ne pas dire français), hérité des réalisateurs théoriciens de la Nouvelle Vague.

 

Dans les années cinquante et soixante, faire reconnaître Hitchcock, Chaplin ou Kurosawa comme des artistes à part entière était un combat. À leur tour, Truffaut, Godard, Rivette et les autres ont été intronisés « auteurs », ce qui sous-entend que d’un film à l’autre, on reconnaît leur patte, leur style, leurs thématiques, on assiste à l’étape suivante d’une exploration et, in fine, d’une œuvre. Cannes ayant son petit club d’abonnés prestigieux, c’est une observation que l’on peut souvent faire ici.

 

La « théorie des auteurs » fut une révolution intellectuelle capitale. Mais avec le temps elle s’est transformée en piège en devenant le modèle unique. Dans les écoles de cinéma, on apprend à toujours pousser plus loin, expérimenter, intellectualiser pour être digne des maîtres. Au point que pour le grand public (qui a le dos large), aujourd’hui film d’auteur égal film chiant et/ou prétentieux.

 

C’est la deuxième fois en trois jours que le sempiternel conflit faiseur/auteur surgit malgré moi dans ces chroniques. C’est sans doute que Cannes est un endroit propice pour se poser ces questions, de par la variété de sa sélection officielle. Mais j’arrête là, car je ne veux en fait pas raviver ici cette épuisante distinction. Qu’il me suffise de dire qu’intentions et capacités sont deux choses et qu’il est bien des films d’auteurs plus pénibles à voir qu’un film de faiseur bien troussé.

 

Non, plutôt, je voudrais relayer les propos d’Alexandre Desplats, qui ouvrent une nouvelle porte, bien plus intéressante, dans ce débat. Tout en insistant sur le fait que le réalisateur était finalement le seul maître à bord (car selon la formule consacrée un film n’est pas une démocratie), il insistait sur l’importance de reconnaître trois auteurs à un film. Le réalisateur bien sûr, mais aussi le scénariste et, on l’aura deviné, le compositeur.

 

Pour la deuxième catégorie, la mienne, le chemin est encore long, mais il est bien engagé. La valeur de notre travail est de plus en plus reconnue, même si nous restons dans l’ombre. Du reste faut-il que nous en sortions? Les acteurs sont par nature dans la lumière, il est normal qu’ils y restent. Et quand on veut bien s’intéresser à lui, il est normal que le réalisateur soit en première ligne pour défendre son film. Mais s’il est un métier sous-estimé, la cinquième roue du carrosse, c’est bien celui de compositeur.

 

Pourtant, faisons un petit test. On a presque tous vu L’Empire Contre-Attaque. Et si ce n’est pas le cas, je parierais que vous pouvez quand même répondre à la question! Qu’elle est la première chose qui vous vient à l’esprit en évoquant ce film? La marche militaire impériale accompagnant les apparitions de Darth Vader ? Le même déclarant à un Luke Skywalker terrifié « Je suis ton père »? Aucun de ces moments cultes n’est l’œuvre directe du réalisateur. Les scénaristes se nomment Leigh Brackett et Lawrence Kasdan, le compositeur John Williams. Encore mieux, le réalisateur n’est pas George Lucas, mais Irvin Kirshner! Pourtant nul doute que la Guerre des Étoiles, c’est Lucas! On le voit avec ce simple exemple, la notion d’auteur est à la fois primordiale et relative. Car si on part comme ça quid des producteurs et du directeur de la photographie?

 

Je me souviens que les syndicats de scénaristes américains (oui, ils ont des syndicats pour les scénaristes là-bas, ici on n’a pas droit au chômage) avaient milité il y quelques années pour que la mention « un film de » soit suivie des noms du réalisateur et du scénariste. De ma position, je trouverais cette mesure flatteuse bien sûr, mais aussi excessive. Il faut qu’une vision unique prévale pour qu’il y ait œuvre d’art et cela reste vrai en cinéma, même si c’est un art extrêmement collectif. Mais Desplats voit juste en faisant ce simple constat: il y a trois personnes qui touchent des droits d’auteurs sur un film: le réalisateur, le scénariste et le compositeur. C’est donc bien qu’ils sont les trois créateurs. D’une certaine façon, pour une fois, la loi a précédé l’usage!

 

Matthieu Reynaert (twitter: @jangorama)

PS: À tous ceux qui n’ont pas vu L’Empire Contre-Attaque, sorry pour le spoiler!

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Le Billet Cannois #2 –  Welcome to « Reality »

 

 

Elle est là un peu partout qui m’observe. À l’entrée du Marché du Film. Au détour d’une colonne publicitaire. Dans les magazines, les programmes… Elle.

L’affiche.

Emilie et Tahar, Murielle et Mounir, souriants enlacés, beaux comme des enfants, aux prémices d’une histoire d’amour qui commence si bien.

 

C’est donc que ça doit être vrai. On l’a fait ce film et déjà il ne nous appartient plus. Pour l’instant, c’est un festival « comme les autres » mais cette affiche un peu partout me rappelle que, pour moi, il sera bientôt très spécial. C’est dans l’endroit le plus irréel que je connaisse que prend corps le résultat de cette aventure, de ces années de travail qui semblent déjà un peu loin au scénariste que je suis, forcément plus distant des tournage et montage.

 

Impossible de ne pas avoir une boule au ventre. De ne pas se poser mille questions sur l’accueil qui sera réservé au film ici et, surtout, en salle dans la foulée. Pour ma part, il n’y a plus grand chose à faire, pour ne pas dire rien. Tout ça est déjà loin de mon contrôle. Vertige.

 

Au moment où j’écris ces lignes, je surplombe justement le grand auditorium Lumière. Depuis ce balcon où s’entassent un bon millier de personnes. Sur le grand écran, on suit l’équipe de Madagascar 3 qui monte les Marches. Difficile d’imaginer plus éloignés que nos deux films. Tant en termes de fond que de forme, de moyen, d’échelle, de public… Et même si Ben Stiller n’entendra pas parler de nous, nous partageons en quelque sorte l’affiche cette année. Vertige en effet!

Je me demande si les scénaristes de Dreamworks ont la même boule au ventre. Sachant le travail et l’investissement que représentent l’écriture d’un film, quel qu’il soit, j’ai du mal à imaginer que non. Est-ce possible que les « faiseurs » (oh le vilain terme) d’Hollywood soient devenus assez cyniques que pour ne plus passer une nuit blanche la veille de la sortie de leur film? Est-ce qu’être condamné à faire du chiffre rend désabusé ou davantage nerveux encore? Est-ce qu’ils ne se soucient vraiment pas de ce qu’on dira de leur film tant qu’ils font assez d’entrées? Et nous, aurions-nous tort d’avoir un peu envie de faire de bons chiffres? Est-ce un gros mot pour les « films d’auteur » (oh le drôle de terme)?

 

Et puis surprise au générique. Madagascar est co-écrit par Noah Baumbach. Plume de Wes Anderson et réalisateur de The Squid and the Whale ou Greenberg. Des films pas chers, lents, tristes et beaux. Encore un grand écart vertigineux. Finalement je suis prêt à parier qu’il se pose beaucoup de questions lui aussi ce soir, schizophrène cinématographique dans une industrie si éloignée de la nôtre. La Palme est toujours plus dorée dans le cinéma d’à côté…

Matthieu Reynaert (Twitter: @jangorama)

 

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Le Billet Cannois #1  –  « On The Road » again…


 

Il y a deux types de personnes à Cannes. L’accrédité et le non accrédité. Le non-accrédité, qu’il soit là pour de bonnes ou de mauvaises raisons, passera un mauvais séjour, car il ne verra rien, ne rentrera nulle part. Il profitera juste des embouteillages et de la foule. Bref, il sera un peu comme un Cannois. Et pour les Cannois, le festival, ça craint; c’est établi.

 

Parmi les accrédités, il y a encore deux types de personnes. Ceux qui viennent pour la première fois et ceux qui reviennent. Celui qui vient pour la première fois, même s’il joue les blasés, il ne peut pas s’empêcher d’avoir des étoiles au fond des yeux. Cannes, les marches, les stars, les palmiers, les fêtes jusqu’au bout de la nuit, les films mythiques, bref, le glamour! Il ne pourrait pas en être autrement. De ce glamour, on en parle dans Voici comme dans le Nouvel Obs, on le voit sur RTL-TVI comme sur Arte.

 

Celui qui revient, lui, il sait à quoi s’attendre. Les files interminables sous le cagnard pour voir un film ouzbek de deux heures trente sur le deuil, les flics chauffés à blanc qui vous pressent sur le trottoir pour laisser passer une limousine aux vitres teintées dans laquelle se cache peut-être quelqu’un de vaguement connu ou méritant, le tapis rouge monté quatre à quatre à huit heures du matin pour essayer d’avoir une bonne place, la fête où on est refoulé, celle on est presque rentré, et la nuit de trois heures sur un bout de canapé. Et courir. Faire la file puis courir. De toute façon, l’accrédité, il y a de bonnes chances qu’il soit là pour travailler (producteur ou journaliste, auquel cas il sera vite sur les genoux) ou pour présenter un film (auquel cas lesdits genoux ont déjà cédé).

 

Et pourtant, si on prend le temps de le regarder, ce fichu accrédité qui n’est jamais content, il n’est pas impossible de remarquer quelques étoiles qui brillent, là dans le coin de l’oeil que laissent deviner les lunettes noires.

 

Moi, je viens à peine de débarquer, je n’ai pas encore vu un seul film et déjà un je-ne-sais-quoi reconnaissable entre mille s’empare de moi. Bien sûr ce n’est pas une année comme les autres puisque je présente un film (mais ça c’est pour un autre jour). Mais même sans ça. Je débarque à Cannes et l’agitation est déjà à son comble, les rues bondées, bruyantes. C’est comme si rien n’avait changé en un an, comme s’il y avait une faille dans l’espace-temps, comme si le festival ne s’était jamais arrêté et qu’il ne nous en voulait même pas de lui avoir faussé compagnie pendant onze mois et deux semaines. Je retrouve la rumeur de la ville, les accents du monde entier (et du sud bien sûr) qui se mélangent, l’immuable bunker qu’on appelle « palais », les reflets bleus de la mer et les maisons roses perdues entre les immeubles gris et les hôtels blancs. C’est comme une madeleine de Proust géante, à l’échelle d’un centre-ville! Un genre d’ivresse cinéphile par anticipation. Un étrange sentiment d’éternité.

 

Même l’odeur est caractéristique. Du reste, il vaut sans doute mieux ne pas savoir pourquoi. Sans doute un mélange d’air marin, de pollution et de transpiration. Ou de rouille et d’os? Car oui, on ne parle déjà plus que de ça, du film « coup de poing » de Jacques Audiard. Puis ce sera un autre, et un autre, des polémiques, des rumeurs, des certitudes et un palmarès forcément insatisfaisant… Pendant douze jours on ne parlera que de films. Et pas n’importe lesquels. Les gentillesses se mêleront aux vacheries, les jugements péremptoires aux discussions passionnées. Le cirque cannois a repris ses droits. Un peu ridicule, un peu vain… Ça va être formidable!

 

Matthieu Reynaert

PS: Je tweeterai l’ambiance entre deux billets, n’hésitez pas à me suivre sur @jangorama

 

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