Deux au carré : leçon d’algèbre à géométrie variable

Ha ! Le couple! Ce concept si pratique pour donner l’illusion à monsieur et madame de tromper le temps. Un refuge idéal pour deux éléments d’un binôme qui se sentent si seuls, une fois qu’un autre être n’est pas tout près pour échanger banalités, caresses, reproches, coups de langue, coups de gueule; qu’importe.

Tant que l’ennui s’estompe…

 

Mirage qui a souvent fort peu d’atomes crochus avec la vague notion « d’amour » qu’on lui superpose volontiers, le couple est aussi une manière idéale de cimenter un indispensable début de cohésion sociale.

Imaginez une société où chacun se laisserait guider par ses pulsions et la passion…
Ce serait vite le bordel.

Alors, vive le couple qui crée ses propres murs !
Au nom de l’amour, de la morale et de l’ordre.

 

 

D’ailleurs, l’amour, c’est bien aussi : l’abstraction est suffisamment floue pour être interprétée par chacun, à sa guise.

Et qui blâmera les amoureux? Sérieux?
Bande de sarcastiques cyniques que vous êtes !

Ce serait comme de se moquer de ces enfants qui attendent avec impatience l’arrivée récurrente du père Noël. On a entendu dire que le vieux bonhomme ventru et barbu n’existait pas? Bah ! L’important c’est le présent qui sera sous le sapin. On se fout de savoir qui l’y a déposé, car le cadeau comblera l’ennui pour quelque temps.
Comme le couple. Ou l’amour.

Et puis l’amour, ça fait vendre, ça enfante de jolies chansons niaises, des bouquins, des films, même des festivals, tiens.

 

Bref, l’amour et surtout le couple, sont au centre de Deux au carré, petit film mutin et fort sympathique dont on a décidé de vous parler aujourd’hui, car il sera projeté ce soir au festival du film éponyme de Mons.

 

 2 + 2 = 5

 

Vous le savez si vous nous suivez attentivement, car nous avons déjà évoqué souvent les circonstances qui ont enfanté ce film, Deux au carré est une fantaisie imaginée par une bande de potes: le réalisateur français Philippe Dajoux a une folle envie de tourner un long métrage de cinéma et une équipe technique sous la main, Charlie Dupont a une chouette idée dans un tiroir, Fanny Desmares a fait de ce pitch un scénario pas dégueu du tout et Tania Garbarski, complice de Charlie à la ville et sur les planches, s’amuserait bien à être aussi sa moitié à l’écran…

L’envie est là. C’est un bon début.

 


Mais Deux au carré parle… de deux couples et comme le film doit être réalisé à l’économie, dans un cadre qui l’éloigne notablement des standards de production classiques, pas question de traîner dans l’aventure quelques comédiens imbus de leur personne, qui vont pourrir l’ambiance.

Par chance, Olivier Sitruk trouve l’idée fort sympathique, Élodie Frenck dit oui et Arthur Jugnot se marre en écoutant le pitch.
Stop ! On ne bouge plus ! On tient l’affiche : deux couples, plus un cinquième élément (rien à voir avec Besson), observateur narquois des histoires qui se nouent, dénouent, renouent.

 

Le moteur est demandé… Clap ! On tourne !
Et la petite tribu d’embarquer dans un Thalys vers Cannes où se déroule l’essentiel de l’intrigue.

Cinq heures d’attente? Pensez-vous…
Quand il n’y a pas de sou, il faut de l’énergie et de la débrouille : l’équipe profite de l’opportunité pour tourner toutes les scènes d’ouverture du film. Le trajet dure cinq petites heures: il faut assurer.

 

 

Dans le scénario, ce voyage c’est la première rencontre pour deux couples que rien n’aurait dû rapprocher.

D’un côté deux gentils provinciaux qui tiennent un resto: William est comptable, Élise est nymphomane.

De l’autre, deux « m’as-tu-vu » de la capitale: Thierry est un ex-footballeur, branché cul, qui vit assez mal sa fin de carrière et Anabelle une miss météo qui se la pète… pour ne pas pleurer sur le vide sidéral de son existence.

 

 

Ces quatre personnages ont développé des dépendances respectives qui cimentent leur quotidien : William se laisse materner par Élise qui adore ça; Anabelle, avec l’argent de papa, a assuré la reconversion de Thierry dans le sportswear. En échange, il la rassure.
Bref, la notion de couple n’est plus, chez eux, intimement liée au concept d’amour.
Et même s’ils s’accommodent plutôt de leur vie, l’envie est ailleurs.
Deux d’entre eux n’en sont pas totalement conscients… mais ça va venir, rassurez-vous

C’est d’ailleurs un peu l’objet du film

Car si la rencontre initiale laisse augurer une comédie un peu prévisible, façon Francis Weber, où un élément dynamique s’apprête à traîner un gros boulet pendant nonante minutes hilarantes, on découvre très vite que le propos est ailleurs.

 

 

LA RÈGLE DU JE(U)

 

Dans Deux au carré, tous les acteurs s’amusent, c’est évident. Et leur bonne humeur est terriblement contagieuse.

 

 

Et si aucun d’entre eux ne démérite jamais, on épinglera pour l’exemple la tonique sensualité d’une Tania Garbarski qui réussit l’exploit d’être à la fois drôle et torride. Ce qui n’est pas à la portée de n’importe qui.
Enfin servie au cinéma par un rôle où elle peut se lâcher, elle s’en donne à cœur joie.

 

Conscient de l’alchimie rare qui règne sur le plateau (et au dehors), le réalisateur s’est offert un ultime petit caprice : à l’issue du tournage, il a réuni les comédiens, face caméra, sur un canapé, seuls, à deux, à trois, quatre ou cinq (plus on est de fous…) pour répondre à des questions (im)pertinentes.

Ces nombreux intermèdes qui parsèment le film cassent savamment son rythme, ou le relancent, apportent ici un regard nouveau, ouvre là une parenthèse savoureuse.
Il ne s’agit pas à proprement parler de commenter l’intrigue, mais de nourrir chacun des personnages, de lui proposer un éclairage, parfois inattendu : la plupart de ces digressions sont si incongrues qu’elles nous font franchement rire.
Mention spéciale à la scène de la moustache virile, vous verrez (Freddy si tu nous lis…)

 

Mais le cadre principal de l’histoire est bien sûr le Palace cannois où les deux couples vont vivre un étonnant week-end rempli de chassés croisés amoureux. Un décor idéal qui donne au film un formidable cachet : le design est somptueux, l’image riche et colorée. Comme les scènes extérieures alternent soleil et romantisme nocturne, on peut dire que tout ça a de la gueule.
Une bien belle gueule.

 

En termes de « production value » (le rapport entre ce qu’on voit à l’écran et ce que ça a coûté), on flirte carrément avec le génial.

 

 

Jouette en diable, Deux au carré n’est pourtant pas une pochade désopilante.

C’est plutôt une comédie romantique décalée et décontractée qui tronque les perspectives avec un évident plaisir.
Les plus cinéphiles d’entre vous se rappelleront peut-être après avoir vu Deux au carré que sur un thème presque analogue, Antony Cordier nous avait proposé un Happy Few, sombre et sexy.

Enjeux proches, univers radicalement différents. Philippe Dajoux opte lui pour un divertimento sans prétention aux accents woodyalleniens, mâtinés de théâtre de boulevard.
Soit l’assurance de passer un moment fort agréable en bonne compagnie.

Comme quoi le cinéma est d’abord une affaire de ton et de point de vue (mais aussi d’envies et de talents).

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