Renaître un 6 Août

Ce six août est une date clé dans la vie du jeune Jean-François Ravagnan.

Son court métrage Renaître, produit entre autres par les Films du Fleuve des frères Dardenne (avec Delphine Tomson), est présenté en Première mondiale et en compétition au prestigieux festival de Locarno (catégorie 1 comme Cannes, Berlin ou Venise).

Pour l’occasion, le réalisateur nous raconte l’histoire longue et tortueuse de ce projet auquel il a cru depuis cinq ans et qu’il a mené (qui l’a mené) jusqu’en Suisse.

Une interview passionnante sur l’acharnement d’un jeune artiste, épaulé par deux figures de proue du 7e art. Une superbe expérience quoi qu’il arrive à partir d’aujourd’hui.

 

 

 

Les prémices

 

J’avais fait mon tout premier film avec les frères Dardenne en tant qu’assistant et ça s’était très bien passé. Du coup, ils m’ont dit que si je voulais leur faire lire quelque chose, je ne devais pas hésiter.
Je leur ai donc proposé un premier court métrage que j’avais écrit avec Matthieu (Reynaert), mais c’était assez difficile à mettre en place, peut-être un peu ambitieux pour un premier film.

Leurs remarques étaient fondées et ils ne m’ont pas abandonné : ils sont toujours restés très attentifs et bienveillants par rapport à ce que je leur présentais. Je me suis donc mis à écrire Renaître, une histoire vraie qu’on m’avait racontée. J’ai mis beaucoup de temps à venir à bout du scénario, car, au départ, je me sentais un peu éloigné de ce portrait d’une personne musulmane. Pourtant, j’avais vraiment envie de la porter à l’écran.

 

Très vite, j’ai néanmoins rédigé un premier traitement, très court, qui ressemblait davantage à une nouvelle littéraire. Je l’ai fait lire à Luc Dardenne qui m’a donné un avis assez positif et m’a encouragé à persévérer.

Avec lui et Delphine Tomson, productrice exécutive du film, le scénario a pris corps. Nous avons eu beaucoup d’échanges constructifs qui m’ont énormément aidé.

 

Pendant cette époque, je suis aussi allé plusieurs fois en Tunisie ce qui a été précieux : la personne qui m’avait raconté cette histoire ne l’avait pas fait en détails. Je connaissais les personnages et la situation globale, mais j’avais un large champ de fiction, d’inventions, à trouver. Or, j’ai besoin de voir les décors pour aller au plus profond des choses. Sur place, j’ai pu tester le scénario que j’avais en tête, lui donner du corps, voir s’il était juste, rencontrer des gens, le faire lire à des hommes et des femmes de toutes confessions pour m’assurer qu’il tenait la route.

Renaître a vraiment pris sa forme finale à ce moment-là.

 

 

 

La préparation

 

Entre le jour où on m’a raconté cette histoire et le moment où j’ai bouclé le montage, cinq ans se sont écoulés, ce qui est énorme pour 23 minutes. En gros, je dirais qu’il y a eu un an de gestation, et deux ans et demi de financement : mettre sur pied ce genre de films est très compliqué.

 

Quand la commission du film a refusé de nous soutenir (NDLR. Comme quoi, contrairement à la rumeur, les frères n’ont pas qu’à paraître pour convaincre), tout a été remis en question. Les frères m’ont alors conseillé de poser le scénario sur une étagère, le temps de tourner autre chose, et de restructurer la production. Mais à ce stade c’était devenu tout simplement impossible pour moi. Alors je me suis acharné et j’ai cherché d’autres moyens de mener ce projet à bien.

 

Le crowdfunding aura probablement été un vrai déclencheur, car les frères ont pu se rendre compte que l’intérêt pour le film était réel. D’autres sources de financement se sont ajoutées à cette levée de fonds et au soutien des films du fleuve si bien que nous avons finalement pu lancer le tournage.

 

Pour résumer, j’ai mis le temps à monter le projet, mais j’ai réussi à convaincre les différents intervenants par le scénario. Idem pour certains techniciens comme Benoit Dervaux ou Thomas Gauder, des fidèles du Feuve.

Pour le rôle principal, j’avais besoin de quelqu’un de très spécifique, avec une attitude et un regard. Je pense que sur les 23 minutes du film, il y en a 17 sans dialogue: il me fallait donc une actrice qui ait une vraie présence. Or, personne ne se dégageait durant le casting. C’est finalement grâce à David Murgia que j’ai rencontré Nailia Harzoune. J’étais tombé sur une photo d’elle et comme elle avait tourné dans Geronimo, j’ai immédiatement appelé David qui m’a confirmé qu’elle était « Sa Juliette » dans le film de Tony Gatlif. Il m’a encouragé à la contacter. Nous nous sommes vu deux fois. La troisième, c’était à Tunis pour le tournage: elle correspondait vraiment à ce que j’attendais.

 

 

Le tournage

 

Vu que j’avais été de nombreuses fois en Tunisie, que j’avais fait des repérages, seul ou avec des complices de travail, je ne débarquais pas en terrain inconnu. Idem pour l’équipe technique, en partie composée de valeurs sûres, très expérimentées, qui avaient l’habitude de collaborer dans les films des frères. L’équipe image et le chef électro se connaissaient parfaitement bien et j’avais aussi le luxe de pouvoir compter sur Caroline Tambour, 1re assistante des frères qui est en toute circonstance d’une aide précieuse.

 

Nous sommes restés là-bas six jours et nous avions à peine deux jours pour tourner toutes les séquences extérieures, mais avec elle, le travail avance très vite et sans souci. Je peux même dire qu’avec l’exigence de Benoit Dervaux qui est toujours en train de tester de nouvelles idées, je me suis retrouvé au final avec énormément de matière pour un film de 23 minutes.

 

J’ai toujours été conscient de ma chance et face à cet apport de professionnalisme, j’apportais ma connaissance du terrain et une vision claire du projet : j’avais beaucoup travaillé en amont et le film était presque entièrement découpé, par exemple. C’est une des leçons principales que j’ai retenues de mes expériences avec les frères. Grâce à cette prépa, nous n’avons pas été désarçonnés par un tournage à l’étranger d’autant que nous pouvions aussi compter sur l’aide logistique de Nomadis qui nous a ouvert les portes de Tunis.
Nous avons également tourné deux jours à Bruxelles.

 

 

 

La postproduction

 

Pour le montage j’ai collaboré avec Marc Recchia, un technicien luxembourgeois que j’ai rencontré à l’IAD et qui est un ami. Il est tombé amoureux du scénario, puis des rushes. Quand on a la chance de bosser avec quelqu’un qui croit à 100% au projet, on peut aller au bout des choses et ça, c’est excitant.

Et puis, c’est surtout quelqu’un qui a mon âge, qui est aussi passionné que moi et qui, donc, a accepté de se consacrer à Renaître pendant une période de deux mois.

Évidemment, il a parfois dû faire des pauses pour intervenir sur d’autres projets plus rémunérateurs. En tout, on a dû travailler trois semaines et demie, d’arrache-pied. Ce travail a été entrecoupé de visions critiques. Les frères ne nous avaient pas accompagnés en Tunisie, ils n’avaient pas vu les rushes: ils avaient donc une vision fraîche et leurs remarques ont été très constructives. Jean-Pierre et Luc ont agi comme une espèce de présence bienveillante en arrière-plan. Je pense qu’ils ont vu le film quatre fois en cours de montage et lors de nos conversations, leurs observations allaient toutes dans le même sens: ils cherchaient à me faire réfléchir à certains aspects peut-être problématiques pour que je trouve moi-même les solutions les plus adaptées à ma propre vision de Renaître. Ils me donnaient des indications, des clefs. Jamais, ils ne m’ont obligé à faire quoi que ce soit. Jamais, ils n’ont voulu imposer leur marque.

Une des choses que j’ai apprises avec eux en les regardant travailler est de ne jamais lâcher une idée: il faut la façonner, la rendre la plus crédible possible, mais ne pas capituler. Il est donc arrivé sur deux ou trois points que je ne partage pas leur avis et que je leur explique pourquoi je n’allais pas m’éloigner de ce que j’avais en tête. Je n’ai pas toujours réussi à les convaincre, mais au bout du compte, quand ils ont vu le film terminé, Luc m’a dit: « tu as raison, c’est ton film et tu as bien fait de t’obstiner ».

 

Quoi qu’il arrive, travailler avec eux est terriblement enrichissant. Avoir les frères en face de soi, t’oblige à préparer ton argumentation, à réfléchir à tous les aspects de tes choix, car on sait qu’en face de nous il y a une somme d’expériences hallucinante, une expertise et des arguments solides et raisonnés.
Outre leur savoir, ils m’ont aussi donné accès au studio l’Équipe par exemple pour le mixage et l’étalonnage: ce sont des conditions de travail très luxueuses pour un jeune réal comme moi.
Renaître est le premier court que les frères produisent et sans doute le dernier parce qu’ils ont des tas de projets et que ce film leur a néanmoins pris pas mal de temps et d’énergie. Dans les mois à venir, ils comptent diversifier leur approche de la production de longs métrages (nous y reviendrons NDLR). En ce sens, pour moi, ce travail avec eux est peut-être une promesse de développement vers le long. Delphine Tomson m’a toujours dit qu’elle était d’accord de travailler sur le court, mais qu’elle était surtout intéressée par ce qu’il y aurait derrière.

 

 

Les Festivals

 

Pour la dernière partie, celle de la diffusion, c’est moi seul qui ai, jusqu’ici, fait le boulot. C’est un véritable travail à temps plein, une stratégie à mettre en place. Cette année, j’ai découvert cet univers très étrange et fascinant des festivals avec leur catégorie, leur règlement spécifique, leur deadline, leurs exigences particulières.

Heureusement, aujourd’hui, le support physique est remplacé par le dépôt en ligne ce qui est génial du point de vue économique même si soumettre son film à un festival peut être payant. J’ai donc envoyé Renaître dans une quinzaine de festivals en respectant des hiérarchies de priorités par rapport aux catégories. Je visais une catégorie 1, que ce soit Locarno, Berlin ou Venise pour donner une impulsion au film et lui permettre de vivre. Je me suis mis à faire des tableurs Excel et à étudier ce qui était à tenter en priorité.

 

Il faut savoir que Renaître se coupe d’une partie des festivals parce qu’il fait 23 minutes. Cannes refuse les films qui dépassent 15 minutes, Venise met son plafond à 20, ce qui me laissait juste Berlin et Locarno. Je n’ai pas eu à m’interroger trop longtemps, car j’ai reçu très vite une réponse positive de Suisse : mon film y sera projeté en Première mondiale le 6 août (cette interview a été réalisée fin juillet).

 

À ce stade, je me réjouis d’être dans une vraie salle de cinéma, avec un public vierge de toute information pour redécouvrir le film avec lui dans des conditions optimales. Le bonus étant que la sélection est compétitive, mais je ne pense pas à cela pour l’instant.

 

En Belgique, je ne sais pas où on pourra le voir en premier. Je l’avais proposé au Festival de Bruxelles (BRFF) et je n’ai jamais reçu de réponse. Je l’ai aussi soumis à Namur, à Huy, mais je ne sais pas s’il sera retenu ou pas. Je vais également le proposer à Louvain et Gand…

 

 

 

 

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