La Trêve : une série belge, niveau international

Suite à la découverte dans les eaux glacées de la Semois du corps d’un footballeur du club local, l’inspecteur Yoann Peeters qui vient tout juste de revenir dans la région où il a grandi se voit immédiatement appelé à la rescousse. A priori, il n’y a pas de grand mystère : on a retrouvé Driss en aval d’un pont spectaculaire d’où de nombreuses personnes ont déjà sauté par le passé pour en finir avec une existence terne. Mais immédiatement, le policier a un doute.

 

Contre l’avis de son supérieur, il demande une autopsie et le verdict du médecin légiste est sans appel : il s’agit d’un meurtre maquillé. Un avis immédiatement corroboré par une autre découverte : le mot que la victime a laissé ne peut pas avoir été écrit de sa main, car il était quasi analphabète. Commence alors pour Peeters et son équipier inexpérimenté une plongée en apnée dans un univers en vase clos qui recèle de nombreux secrets, de plus en plus glauques.

 

Fait divers sordide ? Pas du tout.  La Trêve est une série policière de 10 épisodes de 52 minutes que la RTBF nous proposera le dimanche dès le 21 février, le dimanche à 20h50 Les abonnés à Proximus TV ont pu la découvrir en exclusivité dès le 10 janvier.

 

 

 

La trêve est le deuxième projet produit avec l’aide du Fonds pour les Séries belges lancé conjointement par la Fédération Wallonie-Bruxelles et la RTBF. On pourrait même dire le premier puisque le très moyen Esprits de famille avait été mis en chantier hors procédure, sans passer par la rude sélection officielle à laquelle a  été soumise La Trêve et les séries qui vont la suivre (Ennemi public sera le prochain)

 

Écrite par un trio de jeunes punks bien de leur personne, composé de Stéphane Bergmans, Benjamin d’Aoust et Matthieu Donck, La Trêve a été réalisée par Matthieu Donck, auteur du long métrage Torpedo avec François Damiens, mais aussi de quelques courts métrages dont l’hilarant Partouze régulièrement diffusé dans Tout Court sur la Trois.
Elle est produite par Antony Rey et Julie Esparbes (Hélicotronc) qui ont essuyé les plâtres de cette nouvelle initiative formidablement intéressante dans l’esprit, mais apparemment très compliquée à mettre en œuvre de l’avis de presque tous les intervenants.

 

À raison de 250.000 euros l’épisode, l’équipe est en effet contrainte de boucler sept à huit minutes utiles par jour, ce qui n’est pas vraiment dans les standards. Question d’habitude ? Peut-être… Peut-être pas. En Flandre, de nombreuses séries sont réalisées avec ce budget, mais au Danemark par exemple, c’est un million d’euros qui est investi en moyenne dans chaque épisode de séries. Or, c’est vers ces standards de qualité que sont censées tendre les séries belges.

 

 

Pour comprendre le défi, il faut savoir que le budget pour 500 minutes diffusées est à peu près celui d’un film « normal » (on ne parle pas d’un film de Jaco, de Bouli ou des frères Dardenne) souvent budgétisé chez nous autour de 2 millions, film qui, lui ne dure que 90 minutes. Bien sûr, une série tournée en une fois implique des économies d’échelle, mais quand même… L’équipe a bénéficié de 70 jours de tournage, soit à peine 15 jours de plus que pour le tournage du dernier long métrage des frères et deux fois plus à peine que pour un long métrage classique.

 

« Dans les faits », explique Matthieu Donck, « le vrai budget de cette série est largement plus important que ces 250.000 euros. Il faudrait au moins le double pour payer les gens (un peu) correctement. Pour produire des séries équivalentes au modèle scandinave dans des conditions normales, il faudrait multiplier par trois ou quatre le budget officiel : chacun a travaillé au rabais, sans compter ses heures. Ce fut une expérience exceptionnelle que j’ai adorée, mais j’ai déjà signalé que dans ces conditions je ne rempilerais pas pour une saison 2. Personne dans l’équipe ne le fera.  »

Une actrice de la série confirme : « Moi je n’ai pas trop à me plaindre, c’est une de mes premières expériences importantes et je peux voir cette série comme une opportunité exceptionnelle, mais les gens qui ont géré ça au quotidien étaient épuisés. Ils se sont donnés corps et âmes aux limites de ce qui était possible. »

Même son de cloche chez les professionnels de la postproduction cinématographique : « ce schéma n’est pas raisonnable », nous confie le sympathique patron d’une société très connue. « On peut le faire une fois, deux fois à la limite pour lancer la machine, mais si on s’engage à travailler aussi longtemps avec des budgets aussi petits, on va tous se retrouver par terre. Personne ne va suivre. »

 

 

 

Ce préambule peut ressembler à une excuse pour justifier une série qui ne serait pas à la hauteur des attentes. C’est tout le contraire ! Malgré les contraintes que vous connaissez et qu’on ne sent jamais, ce qui nous a été montré est d’une qualité exceptionnelle

 

Les deux premiers épisodes de la Trêve qui ont été proposés deux fois à Bozar dans le cadre de Are you series ? et du Be Film Festival n’ont vraiment rien à envier à ce qu’on a l’habitude de voir si on est un fan du genre.

 

Matthieu Donck s’était d’emblée fixé un objectif hyper ambitieux, limite suicidaire : faire du cinéma sur le petit écran. Le moins qu’on puisse dire est qu’il relève le gant : image stylée, ambiances travaillées, interprétation haut de gamme, scénarios bourré de rebondissements, montage soigné qui relance constamment l’intérêt : sur ce qu’on a vu La Trêve se hisse au niveau de The Killing ou de Broadchurch, des séries qui viennent immédiatement à l’esprit des aficionados.

C’est avec une évidente délectation qu’on se plonge dans l’univers trouble d’Heiderfeld, village gaumais isolé du monde qui semble fonctionner selon ses propres règles d’autant que la bourgmestre n’a pour l’instant qu’un seul objectif en tête : convaincre un groupe d’agriculteurs un peu rustres de vendre leurs terres pour pouvoir construire un barrage et inonder une partie de la région.

 

La formidable idée qui a présidé à la mise en chantier de cette série et des autres qui lui succèderont est de donner aux techniciens et aux acteurs belges l’occasion de travailler de façon intense, histoire de gagner rapidement de l’expérience et de l’aisance dans des conditions un peu plus compliquées que la moyenne. Corolaire de cette intention : le Centre du cinéma et de l’audiovisuel espère que le public belge découvrira beaucoup de nouveaux visages qu’il prendra alors forcément plaisir à revoir sur grand écran : la formule a fait ses preuves en Scandinavie et en Flandre. Face à l’assaut des séries françaises qui déferlent sur les trois antennes de la RTBF, ce sursaut est non seulement salutaire, il est crucial… pour notre cinéma

 

 

Sur ce plan-là aussi la mission octroyée à la production est largement remplie : à côté de Catherine Salée (La vie d’Adèle, Deux jours, une nuit, Mobile home, Nue propriété), d’Anne Coesens (Illégal, L’année prochaine, Tous les chats sont gris), de Tom Audenaert (Hasta la Vista, Les Rayures du zèbre, Moon Walekrs), de Vincent Grass (Yam Dam, Le Monde de Narnia) ou de Sam Louwyck (il est dans un film belge sur deux environ), des visages qu’on a déjà vu souvent sur grand écran, La Trêve nous offre un florilège impressionnant d’acteurs remarquables qui tirent tous leur épingle du jeu/
Le rôle principal est tenu par Yoann Blanc qui risque bien d’être la grande révélation ciné-télé de l’an prochain puisqu’il est aussi la tête d’affiche du sublime (si, si, sublime) un homme à la mer de Géraldine Doignon.

Même si la série se présente comme une enquête compliquée dans un univers imprévisible, elle est avant tout le portrait d’un homme en proie à ses démons et qui perd pied. Comme dans la série Damages ou dans The Affair, les scénaristes ont opté pour le principe des flash-forwards (petit coup de zoom dans le futur) pour nous révéler des éléments capitaux, assez angoissants que ne possèdent bien sûr pas les différents protagonistes au moment où ils enquêtent.

 

Aux côté de Blanc, Guillaume Kerbusch (vu dans Sans rancune, Sœur sourire, Oscar et la dame rose ou Rien à déclarer) tire d’emblée son épingle du jeu. Jean Henri Compère, Sophie Breyer, Sophie Maréchal, Lara Hubinont, Jérémy Zagba, Jean-Benoit Ugeux, Thomas Mustin, Philippe Grand’Henry sont quelques-uns des autres noms qui illuminent cette série ; des visages qui pourraient rapidement se greffer dans l’inconscient cinéphile belge et venir enrichir la production cinématographique dans les mois et les années à venir.

 

 

Série stylée et captivante qui donne immédiatement envie de se plonger dans son univers pour découvrir le fin mot de l’intrigue, La Trêve (même si nous n’avons vu à ce stade que deux épisodes – « pas les meilleurs nous promet » son réalisateur) s’avère déjà comme une vraie réussite qui repose peut-être davantage sur le talent de tous ceux qui l’ont portées que sur le schéma de production mis en place.

N’empêche : il est évident que si ces séries cartonnent auprès du public, les moyens seront forcément revus à la hausse ensuite.

Pour un coup d’essai, déjà un coup de maître.

 

 

UPDATE : lire ICI le deuxième article consacré à la série

 

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