En amont du fleuve : les colosses au cœur d’argile.

À bord d’un petit rafiot, Homer et Joé, la cinquantaine, remontent un fleuve quelque part en Croatie. Jusqu’au décès, récent, de leur père, chacun ignorait tout de l’existence de l’autre.

Pourtant, ils sont demi-frères. S’ils sont ici, c’est pour essayer de comprendre qui était vraiment leur géniteur. Joe l’a connu, il a même vécu avec lui. Homer a, lui, été élevé par sa mère et ne sait rien de cet homme qu’il a tendance à idéaliser.

En route, le duo va rencontrer Sean, un baroudeur irlandais qui a travaillé avec leur père. Travaillé?  Mais de quelle activité parle-t-on ici? La vérité se trouve-t-elle… en amont du fleuve?

 

Pour cette coproduction inédite entre la Belgique, les Pays-Bas et la Croatie, Marion Hänsel a fait le pari de réunir trois de ses acteurs préférés : Olivier Gourmet, Sergi Lopez et John Lynch (rôle principal dans The Quarry (La Faille). Trois hommes qu’elle a déjà eu la chance de diriger et qu’elle a pris beaucoup de plaisir à côtoyer.

 

 

En fait, c’est même cette intention qui a été à la base du film. Une fois que la cinéaste avait les comédiens en tête et qu’ils avaient donné leur accord à une nouvelle collaboration, il ne lui restait « plus » qu’à écrire un scénario convaincant qui les relie. Elle a alors fait appel au romancier Hubert Mingarelli pour l’aider à imaginer une histoire forte qu’elle aurait envie de mettre en scène.

 

La démarche est étonnante, mais le moins qu’on puisse dire une fois qu’on a (enfin) découvert sur grand écran le résultat de cette expérience, est qu’elle est couronnée de succès : En amont du fleuve est un film singulier, sensible, émouvant, à la fois apaisé et tendu, porté par une interprétation exceptionnelle, réalisé avec pudeur et filmé sans ostentation avec une vraie virtuosité qui donne envie de filer illico en Croatie où le film a été réalisé. L’écriture est précise et d’une finesse rare. Les enjeux, présentés en mode mineur, touchent aux fondements mêmes de notre humanité.

 

 

Face à face au fil de l’eau, Sergi Lopez (Jo) et Olivier Gourmet (Homer), un peu bourrus, taiseux, s’observent et se mesurent. Le premier est écrivain, l’autre possède des camions qui sillonnent l’Europe. Sans avoir l’air d’y toucher, Homer tente de glaner chez son demi-frère des informations qui confortent l’image positive qu’il a de son père. Jo ne se livre que par bribes. Dans ce road movie sur l’eau, ils picolent, trouvent ici et là quelques moments de complicité, mais restent sur leurs gardes en attendant de parvenir au lieu où leur père a été retrouvé mort, espérant en apprendre un peu plus sur son décès. Et sur lui.

 

Ces deux comédiens qui se sont parfois croisés sur un tournage, mais n’ont jamais eu l’opportunité de tourner face à face n’ont pas loupé l’occasion de livrer ensemble une prestation inoubliable. Marion pressentait qu’ils étaient faits pour s’entendre et elle ne s’est bien sûr pas trompée. Intenables sur le plateau, irrésistiblement drôles de l’aveu même de la réalisatrice, ils retrouvent devant la caméra toute la concentration et la distance nécessaire à la crédibilité du récit, une fois que Marion a lâché le mot magique : « Moteur ».
Ces deux quinquas au physique un peu lourd n’ont pas besoin de beaucoup de textes pour que le spectateur les adoube et les accompagnent, compagnon invisible et curieux de ce qu’ils trouveront en chemin, ému de leurs maladroites manœuvres d’approche, touché par les petites joies qu’ils glanent et les déceptions qui les frappent de plein fouet.

 

 

Quand Homer et Jo rencontrent le troisième larron de l’histoire, une vérité se dessine assez différente de ce qu’ils avaient imaginé et le duo qu’on a appris à connaître et à aimer va devoir composer avec ce personnage ambigu qui, s’il n’est pas lié avec eux par le sang, a su nouer avec leur père une relation fort différente de la leur. Cela nous donne sans doute la plus belle séquence du film que nous ne détaillerons pas ici (la surprise est nécessaire), mais qui, vue à travers les yeux d’Olivier Gourmet, est tout simplement bouleversante.

 

Dans un univers « « multitâches » ou le zapping est loi, où tout doit aller vite pour ne pas ennuyer, où les films doivent être montés à la tronçonneuse pour captiver, Marion Hänsel prend le pari de prendre son temps et de laisser à ses acteurs l’espace pour se révéler sans se bousculer. Une démarche dictée par une volonté de réalisme puisqu’on est sur un fleuve au milieu de nulle part et que, contrairement à la plupart des road movies, le duo ne va pas croiser grand monde au fil de son périple. Mais alors que cette envie de lenteur pourrait effrayer, elle convainc le spectateur par un naturalisme très premier degré, sans artifice, ni effets de manches, sans aucune « pose auteuriste ».

 

Marion Hänsel filme « ses » hommes au plus près, de manière pragmatique et familière, elle utilise la musique avec parcimonie pour un effet maximum tandis qu’elle nous offre des vues saisissantes de la région de Zadar à se décrocher la mâchoire.

 

 

 

Techniquement, le film est également un grand défi, relevé avec brio. On oublie immédiatement l’équipe tapie dans des espaces restreints, en contrechamp de l’action, qui doivent paraître vides. Du coup, happé par l’impression de solitude profonde des deux personnages, le spectateur erre avec eux au milieu d’une immensité désertique qui confère au récit une résonnance universelle.

 

Dans la lignée de La Tendresse, réaliste, doux et touchant, très réussi, mais que certains avaient trouvé trop lisse (pas nous), En amont du fleuve est plus rêche avec son récit pimenté de tensions humaines profondes. La quête du père, sujet classique s’il en est, est ici traitée avec une pudeur et une force rare, d’autant plus désarmante qu’elle frappe de plein fouet deux colosses qui se donnent des allures intouchables.

 

Et si Marion refuse toujours de gonfler artificiellement les enjeux de son histoire, elle captive le spectateur de bout en bout sans jamais laisser retomber l’attention. Du coup, pas besoin de grandes cascades impressionnantes pour nous tenir en haleine. Quand un(e) cinéaste s’autorise à clore son récit par un unique sourire, point d’orgue qui nous emporte et nous submerge, on ne peut qu’applaudir à l’exploit (ce que la salle de la Première belge au FIFF ne s’est pas privée de faire).

Un film qui restera dans les mémoires, notre premier coup de foudre du FIFF .

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