Noces : deux mondes…

À l’occasion de la traditionnelle soirée de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la RTBF organisée mardi au FIFF, un public fourni et attentif, réparti sur plusieurs salles, attendait avec impatience la Première belge de Noces, troisième long métrage de Stephan Streker.

Peu d’informations avaient filtré avant cette projection. La plupart des spectateurs savaient juste qu’ils seraient confrontés à un drame poignant, déjà récompensé à Angoulême (double prix d’interprétation).

 

 

À l’issue de la projection, les avis étaient pourtant assez unanimes, allant de la franche approbation à la congratulation. Un verdict légitime tant le travail du réalisateur, de ses acteurs et de son équipe est ici impressionnant.

 

 

Zahira, 18 ans, est très proche de chacun des membres de sa famille jusqu’au jour où on lui impose un mariage selon la tradition pakistanaise. Écartelée entre les exigences de ses parents, son mode de vie occidental et ses aspirations de liberté, la jeune fille compte sur l’aide de son frère aîné et confident, Amir.

 

Inspiré d’une histoire vraie, le troisième long métrage de Stéphane Streker n’a pas besoin de jouer la carte du fait divers pour exister. Loin de là.

 

 

Ce n’est pas l’odeur du sang qui a attiré le réalisateur bruxellois, mais tout au contraire l’humanité qu’il pouvait insuffler à TOUS ses personnages qui a transcendé sa démarche. Drame classique dans sa structure, Noces impressionne moins par sa mécanique (implacable, forcément implacable) que grâce à l’empathie sans faille que suscitent Zahira, Amir, son frère, ses parents, ses sœurs, son amie, son petit ami.

Du coup les conflits qui naissent de leurs différences d’opinions plongent le spectateur dans une intense réflexion, car tout jugement hâtif est ici impossible. Et c’est tant mieux.

 

D’un côté on a le poids d’une tradition qui dépasse les individus inscrits dans une société dont ils sont de simples émanations, de l’autre, une jeune fille qui aspire à tout autre chose, une liberté absolue qu’elle estime minimale. À ses côtés, ses amis « occidentaux », bienveillants certes, mais attachés eux aussi aux valeurs fondamentales qui régissent notre société.

 

 

 

 

Au-delà des évidentes qualités d’écriture, des partis-pris de réalisation intransigeants (la musique est globalement absente du film, le cadre est très soigné, les échanges sont essentiellement filmés dans des intérieurs étriqués par opposition aux échappées de Zahira), une telle oeuvre se doit de reposer sur une interprétation sans faille.

C’est le cas ici.

Pourtant, Stephan n’a pas joué la carte de la sécurité : il a confié le rôle principal à une actrice débutante dénichée une semaine avant le démarrage du tournage. Une folie, il le reconnaît lui-même, mais un choix payant tant Lina Elarabi est, de bout en bout, époustouflante.

Magnifique et fragile, forte et libre, tiraillée entre l’amour des siens et ses espoirs d’émancipation, épuisée par les dilemmes qui la minent, elle porte le film (et le spectateur) sur ses épaules. Mais pas seule. Sébastien Houbani qui incarne son frère, Babak Karimi (son père), Neena Kulkarni (sa mère), Rania Mellouli (sa petite sœur), Aurora Marion (sa grande sœur), Alice De Lencquesaing (son amie), Olivier Gourmet (le père de son amie) et le plus belge de tous les Français, Zacharie Chasseriaud (son petit ami) sont plus qu’impeccables. Remarquablement dirigés ils évoluent sur la corde raide de leurs convictions, constamment confrontés les uns aux autres sans que le spectateur puisse s’autoriser à les juger. Sinon en s’appuyant sur des préjugés dont le cinéaste, auteur de son scénario, démontre l’inanité.

 

 

 

Ajoutons à cela que le film est en partie parlé en Ourdou,  un dialecte pakistanais que Stephan Streker, bien sûr, ne pratique pas, et vous aurez compris que son travail ici relève de l’exploit pour un résultat qui ne prête pas le flanc à la critique.

 

Après Michael Blanco un premier long expérimental, Le Monde nous appartient, un deuxième film où le réalisateur digérait (avec brio) ses influences, Stephan Streker signe ici son oeuvre de la maturité.

Moins spectaculaire dans sa facture, débarrassé de toute pose, plus profond et essentiel sans doute, Noces est son Two Lovers à lui, pour oser une comparaison piochée chez un de ses cinéastes favoris. Qu’il appréciera sans aucun doute.

 

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