Belgica : frères et sueur

Quand il a découvert Belgica, Kurt Vandemaele, le rédacteur en chef de la version flamande de Cinevox a publié un article qui a fait le buzz. Il y qualifiait le film de « meilleur film belge de tous les temps » (lire ICI). Cette déclaration fort inhabituelle chez lui a forcément éveillé la curiosité des cinéphiles du nord du pays.

Hier, Bozar accueillait l’avant-première bruxelloise du nouveau long métrage de Felix Van Groeningen, l’occasion de se faire une opinion personnelle dans des circonstances idéales : au cœur d’une chouette salle bourrée à craquer (la soirée était sold out), au milieu d’un public chaud boulette, venu là pour découvrir avec une avidité évidente le successeur du déjà mythique The Broken Circle breakdown.

 


À l’issue de la projection, les applaudissements nourris et les cris perçants laissaient planer peu de doute sur l’état d’esprit de la majorité des spectateurs. À l’entrée du réalisateur et de trois comédiens sur la scène, on se serait plutôt cru à la fin d’un concert à l’Ancienne Belgique qu’à Bozar. Cet enthousiasme bon enfant est symptomatique de la nature de l’œuvre: Belgica est un authentique film « rock », électrique et charnel, qui s’adresse davantage aux tripes qu’à l’intellect, un faux free-style savamment maîtrisé par de très longs mois de montage (150 heures de rushes) qui a valu au réalisateur une des récompenses les plus prestigieuses glanées par un film belge ces dernières années : celui de la meilleure mise en scène au tout récent festival américain de Sundance, Mecque du film indépendant.

 

Dans Belgica, Frank et Jo, deux frères qui se sont progressivement éloignés se rapprochent lorsque Frank décide un peu arbitrairement de s’impliquer dans la gestion du café de Jo. Frank est le grand frère protecteur qui a toujours secouru Jo à l’école quand les gens l’embêtaient « parce qu’il n’avait qu’un œil ». Mais au fil du temps, il est devenu une caricature d’adulte. Il s’occupe à peine de sa femme et de son petit garçon, glande ici et là, sans beaucoup de perspectives d’avenir.

Le Café Belgica est une obsession pour lui. Il veut aider son frère à développer son affaire, et en même temps relever le défi majeur de son existence qu’il s’impose seul sans que personne ne lui demande quoi que ce soit.

Avec une folle énergie, les deux frères vont rapidement transformer le modeste bar populo en un lieu incontournable de la vie nocturne : un antre de la débauche qui transpire le rock-‘n-roll (mais aussi le jazz, l’électro, le rockabilly, la soul…) et où tout semble possible. Pendant un temps du moins…

Car la fête ne s’arrête jamais et se mue vite en trip addictif. Après la lente ascension, la descente pourrait être sèche et dangereuse.

 

 

Les 2h10 de Belgica tiennent toute entière dans ces quelques mots, mais évidemment, ce n’est pas l’histoire, finalement fort classique, qui importe ici, mais son traitement. Noyé dans la musique, le bruit et la fureur, conduit par une caméra virevoltante, Belgica est une injection d’adrénaline qui, c’est évident, détonne dans le petit monde du cinéma belge. Pour trouver des comparaisons qui tiennent la route, il faut plutôt se tourner vers le cinéma anglo-saxon. Comme le film se passe à la fin du siècle dernier (n’ayez pas peur, ce n’est pas si loin) la référence à Trainspotting n’est sans doute pas idiote.

 

Quelque part, Belgica est l’étape suivante attendue de la carrière de Felix Van Groeningen. Non seulement ce film de fiction est en partie basé sur des souvenirs autobiographiques puisque le père du réalisateur relança à Gand un fameux café qu’il revendit ensuite à deux frères, mais surtout parce qu’il renoue avec la classe populaire que Van Groeningen avait si bien dépeinte dans la Merditude des choses et The Broken Circle Breakdown et avec la musique qui semble faire partie intégrante de son ADN. En ce sens, Belgica est vraiment une œuvre personnelle et n’aurait pu être signée par personne d’autre.

 

 

Si la mise en scène, le montage et l’hallucinante bande-son composée par Soulwax sont quelques-uns des atouts du film, on ne peut aussi que rester admiratif devant le travail des acteurs, pour l’essentiel peu connus du public francophone : Stef Aerts (Oxygène, Welp) et le débutant Tom Vermeir, hyper impressionnant, tiennent les rôles principaux aux côtés de Charlotte Vandermeersch, Hélène Devos, Boris Van Severen et Dominique Van Malder.

On sourit en croisant l’inépuisable Sam Louwyck (fort justement crédité au générique comme  » de vervelende klant « ) et la merveilleuse Marijke Pinnoy qui joue la maman des deux garnements, mais également par les apparitions fugaces dans de tout petits rôles de Titus de Voogd (BenX, Welp, Missing), Jean-Michel Balthazar (Je suis à toi) et surtout de Johan Heldenbergh, le héros de The Broken Circle Breakdown, qui incarne ici un pompier un peu ripou.

 

 

Il est certain que Belgica va déchaîner les passions dès sa sortie.

Ce matin sur Facebook, Mourade Zeguendi (premier acteur francophone à avoir décroché un Ensor du cinéma flamand pour sa prestation dans Offline faut-il encore le rappeler ? Oui, il le faut visiblement) écrivait: « Hier j’ai vu « Belgica  » le nouveau film de Félix van Groeningen …avec des acteurs et actrices incroyables , une musique de dingue, la lumière , le montage ,l’histoire ..et surtout un énorme Tom Vermeir dans le rôle principal .. Ce film est un bijou. C’est vraiment le meilleur film belge que j’ai vu !!!! Top !! ».

 

Il y a fort à parier que Belgica deviendra le film de l’année de quelques-uns d’entre vous, mais il pourrait aussi décevoir ceux qui avaient été bouleversés par le drame intimiste de The Broken Circle Breakdown. Quoi qu’il en soit, il semble promis à occuper l’espace médiatique (même si son réalisateur était totalement aphone hier à Bozar) et à animer les salles de cinéma qui vont le diffuser. C’est parfait !

Comme dirait Bouli :« Rock’n’roll mon pote ».

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