« Elle ne pleure pas, elle chante »
On en frissonne encore…

Attention électrochoc ! Film sobre, pudique, néanmoins d’une incroyable violence émotionnelle.

Elle ne pleure pas, elle chante ouvrait donc mercredi le 22e Écran Total de l’Arenberg et la grande salle était sold out pour accueillir la première mondiale du premier long métrage de fiction de Philippe De Pierpont. Évidemment, le metteur en scène qui nous a accordé cette semaine une première interview, n’est pas un débutant, mais quand même…  Autant de maîtrise, de justesse et de force, concentrées en 77′, sans la moindre surenchère, c’est assez sidérant.

L’histoire est celle de Laura. « Ça aurait d’ailleurs pu être le titre du film », sourit Philippe de Pierpont. « Mais il y avait déjà trop de films dans l’histoire du cinéma qui portait ces titres. D’excellents films ». Laura a donc une trentaine d’années. Elle habite seule dans un immeuble à la périphérie d’une métropole. Dans son appartement avec vue imprenable sur les lumières de la ville, des cartons partout. Dans son existence, deux petits amis. Qu’elle appelle, qui passent et qu’elle vire sa,ns délicatesse.

Lorsqu’elle apprend que son père est dans le coma, suite à un grave accident de la route (un choc à couper le souffle), elle décide d’aller lui rendre visite à l’hôpital. Est-elle émue, triste ? Non ! Pas le moins du monde. Elle voit là l’occasion d’enfin régler ses comptes. De se venger ? D’anéantir celui qui a tronqué sa vie. En venant régulièrement la retrouver dans son lit; jusqu’à ses douze ans.

 

Cette démarche engendrera des retrouvailles avec son passé, avec sa famille qui pense à une tentative de rapprochement. Elle renouera avec son frère qui a aujourd’hui deux jeunes enfants et avec sa mère, absente, aveugle. Volontairement aveugle.

« Elle ne pleure pas, elle chante n’est pas un film sur l’inceste, mais sur le processus de libération d’une femme, d’un être humain, en général. C’est un drame, bien sûr, mais c’est aussi, je pense un film lumineux. C’est l’histoire d’une personne qui décide d’arrêter de faire semblant que tout va bien. C’est donc une guérison. », nous expliquait le réalisateur.

Le film est effectivement lumineux… dans ces trois dernières minutes. Mais pour accéder à cette lueur d’espoir, il faut traverser un long tunnel, des scènes incroyables de violence rentrée, des affrontements tout en sous-entendus, des soupçons qui naissent, des uppercuts verbaux décochés quand on ne les attend pas.

En découvrant  Elle ne pleure pas, elle danse, on ne peut s’empêcher de penser au cinéma nordique, à Bergman, à Suzanne Bier et (inévitablement) à Festen de Vinterberg. Et aussi, détour par l’Autriche, à Funny Games de Michael Hannecke. Certes les films n’ont fondamentalement rien en commun, mais ils distillent le même sentiment de malaise estomaquant qui tord les tripes sans rien montrer. Surtout sans rien montrer.

 

Librement adapté d’un roman largement autobiographique d’Amélie Sarn, le film vit sa propre vie, mais sans trahir l’auteure. « Le seul avis que je redoutais », explique Erika Sainte, l’actrice principale, c’est celui d’Amélie. Elle aurait pu trouver  que je n’avais pas compris sa souffrance et ses dilemmes. J’ai été terriblement soulagée par ses compliments. »

Erika Sainte, parlons-en. Mis à part le démarrage du film, elle ne quitte jamais l’écran où elle apparaît souvent en gros plans, parfois longs et silencieux. Et si ce parti-pris peut dérouter d’emblée, il contribue ensuite à établir entre elle et les spectateurs une connivence qui est pour beaucoup dans la réussite du film. Comme la mise en scène de Philippe de Pierpont, elle est d’une totale sobriété. Une fois, elle s’abandonnera à la colère. Une unique fois elle laissera s’exprimer une détresse animale qu’elle hurle, seule, au milieu de la campagne.

On pourrait disserter longuement sur cette œuvre bouleversants: la composition des plans est superbe, les décors assez stupéfiants (ce pont rouillé !), la musique de l’imparable Kris Dane juste éblouissante et les acteurs sont tous d’une impressionnante justesse: Marijlke Pinoy la maman de Laura qui fut celle de BenX pour Nic Balthazar, Jules Werner, un comédien luxembourgeois en vue comme Jean-François Wolff qui, après les deux scènes initiales, doit rester immobile dans un lit, inconscient et pourtant omniprésent (le pauvre). Ou Laurent Capelluto et Hervé Piron, les amants chahutés.

Bref, Elle ne pleure pas elle chante est un sans-faute total. Mais aussi un choc auquel il faut s’abandonner sans craindre d’être maltraité, car « quand on regarde on fond de soi, on sait que la vie est difficile, on le sait tous », précise Philippe de Pierpont qui a toujours le mot pour rire.

Le film à mettre devant tous les yeux, mais pas dans n’importe quelles circonstances, est à découvrir huit fois à l’Arenberg jusqu’au 10 juillet, puis du 12 au 26 juillet au Plaza Art de Mons et du 27 juillet au 10 août au Caméo 2 à Namur.  Un des rendez-vous de votre été  !

 

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