Emilie Dequenne: « le cinéma de Lucas Belvaux est très intelligent tout en étant ultra populaire »

Avec Chez Nous, Emilie Dequenne retrouve le cinéaste belge Lucas Belvaux, qui lui avait déjà offert un rôle en or dans Pas son genre (pour lequel elle avait d’ailleurs remporté le Magritte de la meilleure actrice). Dans le rôle d’une jeune infirmière enrôlée presque malgré elle par un parti d’extrême-droite, elle est à nouveau impressionnante de justesse.

 

 

 

Pourriez-vous nous présenter le personnage?

Pauline est infirmière à domicile, elle élève seule ses deux enfants, et en plus de s’occuper avec un dévouement extraordinaire de tous ses patients, elle s’occupe aussi de son père malade. C’est quelqu’un d’extrêmement aimable, généreuse. Plutôt moderne. Certes, elles est épuisée, mais par la vie, par tout ce que ça génère. Malgré sa simplicité et sa sympathie, le jour où son médecin de famille, une sorte de mentor pour elle, lui propose de devenir la tête de liste du Rassemblement National Populaire, un parti d’extrême-droite, elle accepte cette proposition. Elle qui est si proche des gens et pas du tout raciste se retrouve tête de gondole du parti.

 

 

C’est une responsabilité de plus qui lui incombe…

Oui, au-delà de la responsabilité, il s’agit surtout pour elle de rassembler les autres. C’est très proche de ce que font les sectes, on va chercher chez un individu sa plus grande qualité, on la met en avant, on lui parle de lui, et on lui dit: on a besoin de toi, c’est toi qui va changer les choses, c’est toi qui va sauver le monde, et c’est parce que tu es proche des gens que l’on a besoin de gens comme toi. C’est la méthode des partis d’extrême droite, c’est comme ça qu’ils recrutent. Ils recrutent des gens comme Pauline, qui n’ont aucune expérience politique mais pensent sincèrement pouvoir faire changer les choses, et puis il y aussi des gens qui ont une vraie formation politique, et qui malgré tout plongent. On voit d’ailleurs que depuis les élections de 2014 en France, 28% des élus du FN ont démissionné!

 

Lucas Belvaux dit que Pauline est une sorte de cousine de Jennifer, l’héroïne de Pas son genre?

 

Oui, je sais! Pour moi, Jennifer est loin derrière, je ne voulais surtout pas qu’il y ait trop de ressemblances. J’avais besoin de bien les distinguer. Pour moi, leurs structures sont complètement différentes. Oui, elles se ressemblent à certains égards, elles sont populaires, ce sont des vraies gens, elles ont les pieds sur terre. Mais Jennifer avait quelque chose de très léger, très aérien, alors que Pauline elle a une lourdeur sur les épaules, une fatigue qui n’est pas la même. Elle n’a pas forcément été élevée de la même manière. Ce sont vraiment deux personnages très différents pour moi.

 

 

Est-ce que vous avez eu peur de ce personnage?

Non, elle ne me faisait pas peur du tout, au contraire. J’y suis allée aussi naïvement qu’elle, quelque part. Je n’ai pas du tout cherché à me documenter avant de me lancer réellement dans le personnage. Sur le coup je me suis dit à la lecture : c’est un peu rapide cet embrigadement, mais pourquoi pas finalement, ça se pourrait. Et ce « Pourquoi pas » qui m’appartenait en tant que lectrice est devenu celui de Pauline. Elle subit beaucoup. J’ai décidé de rentrer dans ce personnage en subissant un peu toute l’évolution de l’histoire, même si je la connaissais évidemment. On peut forcer un peu le laisser-aller, le lâcher prise.

 

Est-ce difficile de jouer dans un film d’histoire contemporaine, dont l’action est simultanée ou presque à celle de la réalité?

Je ne me pose pas la question quand je joue. Je sais que Lucas s’est posé la question quand il a écrit. C’est une fiction, mais elle est très documentée. Ca m’a rassurée d’ailleurs. A aucun moment je ne me suis dit que c’était caricatural. Tout ce qui est apparu au sein de la fiction est inspiré de la réalité. Ma réalité quand j’accepte un film, ça devient celle du film. Je n’ai pas du tout de distance quand je tourne.

 

 

C’est la deuxième fois que vous tournez avec Lucas Belvaux, qu’est-ce que vous appréciez le plus dans cette collaboration?

J’apprécie énormément Lucas comme cinéaste. J’aime son cinéma, je l’aimais avant de tourner Pas son genre avec lui. Je crois qu’il n’y a pas un film de lui que je n’ai pas aimé. Lucas a un cinéma extrêmement fin, juste, intelligent. Moi quand c’est trop intelligent, ça me dépasse, je ne comprends plus, mais le cinéma de Lucas est très intelligent tout en étant ultra populaire, c’est un cinéma qui n’est pas réservé aux intellos. Même mes enfants pourraient y accéder. Je sais qu’il y aura une résonance même chez le plus jeune de mes enfants. Ce ne sera pas la même que chez moi à 35 ans, mais ce sera accessible quand même. Il a cette intelligence. En tant que metteur en scène, il fonctionne comme quelqu’un de très entier, il ne triche pas, il est brillant, généreux. Il aime sincèrement l’autre. Ca se ressent dans son travail, au sein d’une équipe.

 

Ce film c’est un engagement de citoyenne pour vous?

Ce film est très important pour moi. Déjà quand j’accepte un film, je suis convaincue à 100%, mais là il y avait une dimension supplémentaire. Dans ma propre vie, au moment des élections, parfois entre amis on discute politique, et il m’arrive parfois de me rendre compte que certains proches sont assez limites dans leur raisonnement. Ils ne sont pas très loin de basculer dans les extrêmes, surtout à droite. Ca m’a toujours choquée, terrassée de constater ça, mais à chaque fois je me sentais complètement désarmée, ça me faisait tellement mal à l’intérieur que j’en perdais mes mots, j’en aurais presque pleuré. Je savais pas comment leur dire, si ce n’est « mais enfin! », mais de manière tellement impulsive et émotionnelle que je me sentais désarmée. Quand Lucas m’a envoyé le scénario, je me suis dit: c’est exactement ce que je voudrais dire à mes amis, à ma famille, à mes enfants, à tout le monde. Il a traduit mon envie de dire aux gens « N’oubliez pas. » Aujourd’hui, on veut vous faire croire que vous, qui n’êtes pas raciste, vous pouvez voter pour le FN. N’oubliez pas que tous les racistes vont voter FN. N’oubliez pas vos cours d’histoire, que l’extreme droite sera toujours l’extrême droite. Je trouvais que c’était un moyen subtil, intelligent de m’exprimer. En même temps, l’art ça sert à ça. Je suis comédienne, artiste, et là ça prenait tout son sens.

 

« Les Hommes du feu » de Pierre Jolivet avec Roschdy Zem

 

 

Quels sont vos projets à venir?

J’ai énormément tourné ces derniers mois, alors mes projets immédiats, c’est de prendre des vacances! Plus sérieusement, j’ai tourné Les Hommes du Feu de Pierre Jolivet, où je joue un pompier aux côtés de Roschdy Zem, un film qui se passe dans une caserne dans le Sud-Ouest. Après ça devrait sortir l’adaptation du livre Au-revoir là-haut (Goncourt 2013) de Pierre Lemaître, de et avec Albert Dupontel, mais aussi Laurent Lafitte, Niels Arestrup, Mélanie Thierry et Nahuel Perez Biscayart.

 

 

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