La Religieuse : une vocation…cinématographique

Guillaume Nicloux était jusqu’ici plutôt connu pour ses polars sombres : Une Affaire Privée, Cette femme-là, La Clef… Il a aussi signé Le Concile de Pierre d’après Jean-Christophe Grangé et récemment tenté avec Holiday un virage vers la comédie. Le retrouver en train de diriger La Religieuse est donc une surprise. Mais en apparence seulement…

Inspiré par l’œuvre de Diderot (publié à titre posthume) comme Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot (titre intégral) que Jacques Rivette réalisa en  1966, son film est loin d’être une œuvre de commande.

 

« Je porte ce projet depuis l’adolescence », explique le réalisateur. « J’ai eu une éducation religieuse et je n’ai pas été loin, après ma profession de foi, d’envisager le séminaire. Cette tentation s’est évanouie à treize ans, lorsque j’ai découvert la sexualité, la musique, l’explosion des sens, tout ce à quoi j’étais resté étranger jusqu’alors, non parce que j’étais élevé de façon rigide, bien au contraire, mais parce que la foi m’occupait provisoirement. En pleine révélation punk et anarchiste, je me suis mis à dévorer les livres, et parmi eux La Religieuse, que j’ai reçu de façon très violente dans ma révolte et le foisonnement de questions que je me posais. Ce livre ne m’a jamais quitté et a laissé une marque indélébile en moi. Quelques années plus tard, je me suis demandé comment donner une dimension cinématographique à l’histoire de cette jeune fille mise au couvent contre son gré. J’ai seulement trouvé l’angle d’une adaptation possible il y a trois ans. »

 

Sélectionné à la dernière Berlinale, La Religieuse nous arrive au cœur d’un mois de mars particulièrement chargé en événements liés au catholicisme: un nouveau Pape, mais aussi quatre longs métrages: Le Silence des Églises vu à la télé, Elefante Blanco, actuellement sur les écrans, et Au Nom du Fils. Contexte propice ou danger de saturation? Le box-office nous le dira, mais l’intérêt suscité par notre concours semble augurer du meilleur.

 

 

Coproduit par Versus et distribué par O’Brother chez nous, La Religieuse offre bien sûr son rôle principal à la petite Belge qui grimpe très vite tout en haut des affiches : Pauline Etienne.

 

« Je l’ai vue entrer dans la pièce et elle s’est imposée comme une évidence », s’enthousiasme Guillaume Nicloux. « Ce qui me touche chez elle s’apparente à l’idée que je me fais de la grâce. C’est un mot étrange la grâce, un peu empathique, difficile à définir sans le tirer du côté du sacré, ce qui est un peu encombrant. Pour moi, c’est un mélange d’émotions que je ressens parfois en croisant une inconnue, parce qu’au-delà de sa façon de se mouvoir, de sourire, de fixer son attention, cette personne semble imposer une force supérieure à la fois calme et désarmante. »

 

 

Mais Pauline n’est pas la seule actrice belge dans la place. Le film s’ouvre quasiment avec Pierre Nisse emperruqué et on reconnaîtra Fabrizio Rongione dans le rôle d’un père un peu austère sur la fin ou Alexia Depicker (Sœur Camille). On en oublie sûrement…

 

 

« J’essaye toujours de trouver un lien fictif entre le comédien et le personnage. Cela tient du fantasme, mais j’apprécie ce glissement progressif, l’étrange inversion qui s’opère dans l’esprit à ce moment-là, comme si le personnage m’échappait pour vivre sa vie dans la peau d’un autre. Puis vient la rencontre. C’est à ce moment que l’envie se confirme ou s’annule. Je ne fais pas d’essai, pas de lecture, je parle le moins possible du personnage avec les comédiens, car je suis déjà convaincu qu’ils sont le personnage. Seul m’intéresse le moment où les choses se mettent en place, l’instant où nous fabriquons ensemble sur le plateau, avec tous les éléments concrets du film. L’essentiel, c’est que le comédien et moi puissions y croire… Croire qu’il ne s’agira pas de bien jouer ou de mal jouer, mais d’approcher une vérité le temps du filmage. »

 

L’histoire de la Religieuse est donc celle de Suzanne, 16 ans, contrainte par sa famille à rentrer dans les ordres, alors qu’elle aspire à vivre dans « le monde ». Nous sommes au XVIIIe siècle. Au couvent, elle est confrontée à l’arbitraire de la hiérarchie ecclésiastique : mères supérieures tour à tour bienveillantes, cruelles (Louise Bourgoin, très SM) ou un peu trop aimantes (une Isabelle Huppert déchaînée)… La passion et la force qui l’animent lui permettent de résister à la barbarie du couvent, poursuivant son unique but : lutter par tous les moyens pour retrouver sa liberté.

 

 

N’attendez pas de Guillaume Nicloux une modernisation du propos : cadres fixes, gros plans, champs/contrechamps, plans larges solennels : il réfrène sa propension naturelle aux mouvements de caméra plus alambiqués et nous offre une mise en scène en adéquation avec l’histoire, qui fait reposer l’intensité du drame sur les épaules de ses actrices (et acteurs, mais il y en a moins).

 

 » Je ne me suis jamais posé la question de savoir si j’allais trahir le roman. Lorsque j’adapte un livre, ma démarche obéit à un principe hitchcockien : je le lis, je le referme et je laisse travailler mon imaginaire afin de ne garder en moi que ce qui m’a ému. En un sens, c’est une trahison, mais l’important est de trahir le plus fidèlement possible, en utilisant le livre comme un support d’inspiration qui va révéler votre propre vision. Je ne crois pas m’être éloigné de la position de Diderot, car au-delà de son engagement matérialiste, l’auteur s’érige contre l’autorité arbitraire et l’intolérance de l’Église, ce que Voltaire appelait « l’infâme ». »

 

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