L’économie du couple : qui de nous deux ?

Après 15 ans de vie commune, Marie et Boris se séparent. Une histoire banale… une histoire universelle.

Peut-être se sont-ils trop aimés ? Peut-être pas assez ? Peut-être l’a-t-elle trompée ? Peut-être l’a-t-il déçue ? Ce n’est pas la question.

 

Dans l’économie du couple, Joachim Lafosse ne s’intéresse pas du tout au « pourquoi ? ». Il se focalise sur le « comment ? ». Comment ce couple qui vit ensemble depuis quinze ans va-t-il bien pouvoir se quitter ?  Car avant de se séparer, ces deux-là doivent faire le bilan de leur apport personnel au projet qui s’achève. Et, comme (trop) souvent, ce problème qui pourrait être simple ressemble un peu à la quadrature du cercle.
Le coeur du conflit ? L’appartement dans lequel ils vivent avec leurs jumelles. C’est Marie qui l’a acheté. Sa mère y a contribué pour moitié. Mais c’est Boris qui l’a entièrement rénové́. Pour Marie c’est clair : 2/3 de la valeur de revente doit lui revenir. Pour Boris, c’est du 50/50, car l’argent n’est pas tout. Il a travaillé, embelli, fait fructifier le capital. Ses revendications à lui sont presque politiques. Enfant d’ouvrier il s’oppose avec conviction à ce qu’il estime être les caprices d’une petite bourgeoise.

 

 

Cet endroit (cosy) dans lequel ils vivent va donc devenir la cause de leur affrontement, l’objet d’une guerre glaciale qui semble n’avoir aucune issue. Jour après jour, les ex-amants qui sont obligés de cohabiter pour des questions… économiques, vont se déchirer sous les yeux de leurs jumelles qui, à mesure que le gouffre se creuse entre leurs parents, vont se rapprocher.

Qui a tort, qui a raison ? Personne, évidemment. Ou tous les deux. Selon votre sensibilité, votre ressenti, votre histoire, peut-être prendrez-vous le parti d’un des deux conjoints, mais discutez ensuite avec vos amis, votre compagnon ou votre compagne après la projection et vous verrez que votre jugement est totalement subjectif. Au-delà de la tension et de l’émotion qu’il distille, un des grands mérites du film de Joachim Lafosse est d’ailleurs de provoquer le débat en offrant à chaque interlocuteur tous les éléments de leur plaidoirie.

 

Le scénario du film écrit à quatre mains par Mazarine Pingeot (gardez ça à l’esprit en voyant le film pour un décodage supplémentaire), Fanny Burdino, Thomas Van Zuylen et Joachim lui-même est d’un équilibre étonnant, d’une logique inéluctable et d’une précision maniaque.

 

Loin pourtant d’être un film théorique, L’économie du couple est au contraire une œuvre émotionnelle, profondément humaine, filmée au plus près de l’individu. Que le film soit présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes est d’ailleurs tout sauf fortuit : on a ici affaire à un film mis en scène avec une précision maniaque, dans le lieu clos, étouffant souvent, qui est l’enjeu de l’affrontement. La maestria dont fait preuve le cinéaste belge avec l’aide de son impressionnant chef opérateur Jean-François Hensgens peut nous oppresser. C’est voulu. Elle peut nous chahuter. C’est voulu.

« Car », explique Joachim Lafosse, « à la fin de toutes les visions privées du film on a constaté que les spectateurs évoquaient systématiquement leur propre expérience. »
Loin des faits divers qu’il a récemment explorés, le film vise ici plutôt un phénomène de société, partant de l’intime pour s’ouvrir progressivement à l’universel. La démarche est implacable, secouante, opérée avec une maîtrise totale d’un sujet décortiqué dans ses profondeurs les plus vertigineuses.

 

 

Aussi précise et personnelle que soit la mise en scène, le film ne serait peut-être qu’une froide observation clinique s’il n’était servi par des acteurs absolument magnifiques, qui s’offrent sans retenue, mais sans ostentation non plus. Si on n’est pas surpris de la prouesse de Bérénice Béjo souvent vue dans des prestations habitées, pudiques et intenses (Le passé, par exemple), celle du réalisateur Cédric Kahn qu’on a beaucoup moins vu devant la caméra est assez stupéfiante ; sobre, sarcastique, décontractée et tendue, parfois au cœur d’une seule et même scène. On pense ici particulièrement au repas entre amis (avec Catherine Salée) qui est un des climax du film.

 

À côté de ces deux comédiens professionnels, l’économie du couple nous permet aussi de découvrir deux fillettes, jumelles, omniprésentes, tout simplement parfaites. Vous avez sûrement, comme nous, été exaspérés par la prestation de certains enfants cabotins, gnangnans et souvent faux. Coachées avec une précision diabolique, Margaux et Jade Soentjens sont loin d’être de simples spectatrices ou des faire-valoir. Le duo évolue, se complète, s’entraide, peignant à merveille les rapports de force au sein d’une fratrie.
Si vous êtes familiers de son univers, vous savez que la présence des enfants au cœur des films de Joachim Lafosse n’est jamais innocente. Ici, comme dans tous la plupart des autres films du réalisateur (même s’ils étaient grands dans Nue Propriété), ils sont les victimes parfois involontaires, mais immanquablement malheureuses des caprices des adultes et de leur ego trop souvent surdimensionné.

 

L’économie du couple qui arrive le 8 juin sur les écrans belges est le deuxième long métrage de Joachim Lafosse que les spectateurs belges pourront découvrir cette année. S’il n’est en rien une réponse ou une réaction aux Chevaliers Blancs (sorti en janvier), ce drame tendu en est pourtant un reflet inversé : il cloître les personnages dans un espace étroit alors que Vincent Lindon et son équipe étaient perdus dans des étendues immenses, il part aussi de l’intime pour atteindre à l’universel. Mais la cohérence des préoccupations du réalisateur reste totale : quelle est notre place dans ce monde (ici, dans le couple) ? Faisons-nous ce qui est bien ou ne regardons-nous que notre nombril … au risque de piétiner l’avenir de ceux qui nous entourent ?

Un film tendu, émotionnellement violent, mais qui avance progressivement vers la lumière, un certain apaisement. Une petite nouveauté chez le réalisateur belge, au sommet de son art.

 

 

Merci au distributeur O’Brother pour son efficace travail de promo, idéal pour qu’on puisse travailler dans des conditions idéales

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