La trêve : interrogatoire des principaux suspects

Ils sont trois, des amis : Matthieu Donck, Benjamin D’Aoust et Stéphane Bergmans.

Ensemble, ils ont imaginé La Trêve, l’ont patiemment construite, écrite et l’ont portée jusqu’à terme. Pour un résultat surprenant, cautionné par les échos très positifs recueillis après la diffusion des deux premiers épisodes sur la Une à laquelle ont assisté 477.000 spectateurs.

Avec eux, pénétrons dans les coulisses de la plus belle réussite fictionnelle du petit écran belge et découvrons quelques secrets de fabrication de la série qui risque à terme de faire un bien fou au… cinéma belge.

 

 

D’où vient l’idée de La Trêve? Quelle est la genèse du projet?

Nous sommes tous les trois scénaristes et réalisateurs et nous partageons le même espace de travail depuis plusieurs années. Nous travaillons respectivement sur nos projets de documentaires, de courts ou de longs-métrages. On se fait régulièrement lire nos scénarios, on collabore sur les projets des uns et des autres… Matthieu et Benjamin ont écrit deux albums de bandes dessinée publiés chez Dargaud et Stéphane a participé à l’écriture de la plupart des films de Matthieu et réciproquement. On avait envie de travailler à trois, restait à trouver le projet.

Du coup quand on a appris que le Centre du Cinéma de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la RTBF lançaient un grand appel à séries, on a bondi sur l’occasion. Au bout de deux jours, on s’est pris au jeu. Au bout d’une semaine, on était à fond dedans. On ne savait pas trop ce que la RTBF attendait, mais nous avions une idée claire : faire du cinéma à la télé et écrire la série que nous rêvions de voir. On ne s’est donc pas bridés et on a écrit quelque chose qui nous ressemble. La chance, c’est que c’était exactement ce que la RTBF recherchait.

 

 

Pour résumer : l’histoire de la trêve, c’est quoi?

La trame est simple : on retrouve un mort dans un petit village et il faut trouver qui a tué. On a choisi cette trame classique parce qu’elle nous laissait de la place pour développer les personnages et les travailler en profondeur. On voulait créer une « arène » et la radiographier, avec une idée au cœur du processus : dans ce petit village tout le monde est un suspect potentiel. Un Cluedo grandeur nature où la culpabilité d’un seul n’exclut pas la responsabilité des autres. C’est ce réseau de personnages et d’histoires connexes qui est au cœur des enjeux (moraux) de la série.

Notre personnage principal, Yoann, amène déjà pas mal de lignes secondaires. Il a un passé complexe. Il a vécu à Heiderfeld quand il était ado. Il connait les lieux, l’ambiance. Il va renouer avec une partie de lui-même, retrouver des gens, notamment Inès (Anne Coesens). Et puis il y a son passé plus récent. Il vient de perdre sa femme dans des circonstances particulières. Il a une fille de 17 ans, Camille (Sophie Breyer)…

Après, il y a la ligne du village, incarnée par sa bourgmestre, Brigitte Fischer (Catherine Salée). Elle veut faire construire un barrage dans la région. Il y a de gros enjeux politiques et financiers qui sous-tendent l’entreprise. Il y aussi la vie du commissariat, la ligne du club de foot… Et enfin la personnalité de la victime, de Driss Assani, qui est un des éléments auxquels on tenait beaucoup.

 

A quel titre?

On aimait bien l’idée de décaler le principe d’empathie que ce type d’intrigue sous-tend. En général, la victime est la fille adorée du village, un enfant chéri, quelqu’un pour qui l’empathie des gens qui l’entourent est immédiate. Dans La Trêve, le mort est un étranger qui a récemment emménagé sur place. Il n’est pas né dans le village. Les gens ne le pleurent pas spontanément et ça amène pas mal de questions. Driss sert de révélateur par rapport à ce qu’ils sont. Un révélateur qui nous permet de tisser des liens avec le réel, avec l’actualité. La Trêve n’est pas une série politique, mais il y a un fond qui nous touche derrière, quelque chose de contemporain qui nous concerne tous, et nous interpelle.

 

 

Il y a aussi une ligne psy?

Oui. Notre récit est un récit encadré. Quand la série commence on retrouve Yoann face à une expert-psychiatre. Il est incarcéré. Quelque chose s’est passé durant l’enquête à Heiderfeld. Yoann doit en répondre. On a beaucoup travaillé sur ce récit encadré. Pour nous, c’était un des grands enjeux de la dramaturgie de jouer sur cette double temporalité qui finit par se rejoindre dans le dernier épisode. Ça nous permettait de complexifier le rapport qui existe entre nous et Yoann Peeters.

 

Vous pouvez nous parler de Yoann Blanc,  le comédien qui endosse le rôle principal?

Au centre de notre arène, il nous fallait un personnage fort et intriguant, avec des failles, un passé… une sorte de colosse aux pieds d’argile. C’est de cette volonté qu’est né l’inspecteur Peeters. Nous avons pensé à Yoann Blanc dès les prémices… En fait, c’est en trouvant l’acteur, qu’on a dessiné l’histoire. Matthieu, qui a déjà tourné plusieurs fois avec Yoann et le connait bien, était en train de mixer un de ses films (Partouze) quand il a eu l’idée. Il voyait Yoann passer devant lui sans cesse sur l’écran de la salle de mix quand le franc est tombé. On en était aux balbutiements de l’intrigue. On a tous les trois plongés. C’était exactement le genre de comédien qu’on avait envie de voir à l’écran. A la fois énigmatique, intense et captivant… il a une part d’ombre qui nous intéressait. Il amène un ton, une couleur. Yoann a complètement endossé le rôle et a amené bien plus que ce qu’on cherchait.

 

 

 

Comment avez-vous choisi le reste du casting?

On vient tous les trois du cinéma, nous sommes tous les trois réalisateurs et à ce titre, on suit avec beaucoup d’attention les comédiens belges. Il y a beaucoup de rôles de La Trêve qui sont des « sur mesure » ou presque, écrit pour des comédiens avec lesquels on a déjà tourné ou avec qui on avait envie de tourner. Matthieu en particulier avait déjà tourné avec beaucoup des comédiens qui composent la galaxie des visages de La Trêve.

 

 

Comment avez-vous travaillé à trois?

C’était la première fois qu’on écrivait à trois. On a pris le temps d’organiser cela et de trouver nos marques et tout s’est fait assez naturellement. Nous avons décidé de travailler à l’américaine, avec un showrunner. Rapidement, Matthieu (qui avait déjà travaillé avec chacun de nous) a pris le lead en écriture et puis ensuite sur le plateau. L’idée première était de simplifier la prise de décision en la concentrant sur une seule personne, d’être le plus efficace possible. Dans notre bureau d’écriture, c’était le laboratoire permanent. On brainstormait sans cesse. On travaillait debout, au tableau, les murs étaient couverts de Post-it. C’était très excitant d’inventer cet univers et tous ces personnages. Chaque matin, on avait l’impression d’aller à Heiderfeld. On s’est vraiment bien amusés, malgré l’ampleur de la tâche. Entre nous on utilisait des expressions comme « en cordée », le premier défriche, le deuxième affine et le dernier fait voiture balai pour être certain qu’on a rien laissé derrière. Et puis au final, Matthieu récupérait la matière et dialoguait les épisodes. C’était aussi une manière pour lui de déjà travailler le jeu.

 

 

 

Quel est le ton que vous recherchiez?

Notre première ambition était d’être crédible. Le gros challenge, c’est que les gens y croient. Le public belge francophone n’est pas habitué à regarder de la fiction qui se passe près de chez lui. Il connait mieux la procédure d’une enquête en Californie qu’en Wallonie. Ensuite, on tenait absolument à mettre de la lumière. La Trêve n’est pas une histoire légère, le fond est même plutôt noir, il nous paraissait essentiel de jouer le contraste en y insérant un maximum d’ouverture, de soleil, de couleurs, de lumière. Et enfin, une fois que l’univers était en place, on tenait à mettre des touches d’humour, un peu à la manière des frères Coen, pour alléger la noirceur du récit. De l’humour souvent noir.

 

 

Quelles sont vos références? Vos sources d’inspiration?

On est très inspirés par ce qui se fait en Angleterre, aux États-Unis, dans les pays scandinaves aussi. On aime la profondeur des intrigues qu’ils proposent et leur manière très assumée de les ancrer dans des réalités locales. Il y a les classiques Twin Peaks, mais aussi les plus récentes Broadchurch, True Detective, Fargo (le film et la série), The Killing… Il y a quelque chose de très fort dans chacune de ces séries. Elles radiographient toutes à leur manière un milieu, une réalité, un lieu, en travaillant à la fois le fond et la forme de manière très cinématographique. Je crois que c’est ça notre influence principale. Essayer d’inscrire La Trêve, ses personnages, son environnement, son arène dans cette veine.

 

Vous cherchiez une identité cinématographique?

C’était l’ambition de départ, faire du cinéma à la télévision. On voulait mettre le jeu des comédiens au centre et on voulait un look cinéma. On voulait que ce soit beau, c’était très important pour nous. A nouveau, on a essayé d’être le plus inventif possible, d’une part en demandant majoritairement à des gens qu’on connaissaient et qui venaient du cinéma, de travailler avec nous ; de l’autre en utilisant le décor – les Ardennes – et les moyens techniques actuels, notamment les drones, qui nous ont permis d’avoir des images assez incroyables sans nécessiter une logistique hors budget. On entend souvent dire que le centre de gravité de la création cinématographique aux États-Unis s’est déplacé vers les séries télé, surtout depuis que des chaînes comme HBO, Showtime et maintenant Netflix existent. Ce n’est plus du tout la même télévision que nous regardions quand nous étions petits. C’est du cinéma. Et c’est ce qu’on voulait faire nous aussi. Déplacer le centre de gravité. Ou en tout cas essayer de le déplacer.

 

 

C’est pour ça que vous avez choisi de situer l’action dans les Ardennes belges?

Quand on a commencé à discuter de la série qu’on voulait écrire, le deuxième mot a été Ardenne. On voulait des sapins, des rivières. On a un décor incroyablement cinématographique en Belgique, en Wallonie, qui est très peu exploité. Comme les américains ont créé leur imaginaire en filmant le Far West, une de nos ambitions était d’utiliser les Ardennes pour créer un imaginaire belge et y ancrer notre histoire. Pour les intérieurs, l’idée était d’inscrire ces décors dans la même ligne que les extérieurs, de les rendre organiques, de les marquer. On a travaillé avec Catherine Cosme, avec qui on avait déjà collaboré sur de précédents projets. Elle a trouvé un hôpital vide à St-Ode dans lequel elle a pu recréer beaucoup de lieux, le commissariat notamment… Ça a été un énorme coup de chance, un véritable studio géant où nous avons eu la paix pour tourner notre série.

 

 

Comment s’est passé le tournage?

C’était intense. 7 jours de tournage par épisode, c’est très peu de temps. Le budget étant très serré, on a dû être inventifs. On a décidé de réduire au maximum les moyens techniques pour laisser le plus de place possible au jeu. Une série c’est avant tout des comédiens qui interprètent une histoire. C’est ça que les gens veulent voir et c’est ce qu’on a mis en avant. On a donc réfléchi avec Olivier Boonjing, le chef opérateur, pour que le dispositif soit le plus simple possible sans que cela compromette la qualité du projet. Olivier était la personne parfaite pour ce genre de défi. C’est un chef op bricoleur et très inventif. Il a construit deux petites caméras très légères pensées spécialement pour le tournage. Ces caméras nous ont rendus extrêmement mobiles et donc très rapides. Ce qui a permis à Matthieu de se concentrer sur la mise en scène, sans jamais se brider, malgré l’urgence. On a pu essayer des choses, expérimenter, ce qui dans ce type de contexte est un miracle.

 

 

Pour les acteurs aussi, c’était un gros challenge? Matthieu tu peux nous en parler?

Bien sûr. C’est certain. Aborder un tournage de 70 jours et 520 pages de scénarios est une expérience très particulière. C’est une course de fond, il faut bien gérer son énergie. Nous avons fait une bonne préparation en amont. Nous avons beaucoup répété, discuté. J’ai pu passer les scènes en revue avec chaque comédien, définir ensemble les personnages et évacuer un maximum de questions avant d’être sur le plateau. Ça nous a fait gagner pas mal de temps. Le fait de bien se connaître avec la plupart des comédiens a aussi été un vrai plus, ça accélère la confiance que l’on doit obligatoirement se faire sur un plateau. J’adore travailler avec les acteurs et là, j’ai vraiment pris mon pied sur ce projet.

 

 

Vous étiez tous les trois sur le plateau?

Oui. On a tourné 70 jours en tout, et c’était très intense. On n’avait pas droit à l’erreur. La chance pour moi en tant que réalisateur, c’était d’avoir mes co-scénaristes sur le plateau, puisque Benjamin cadrait la deuxième caméra et que Stéphane était scripte. C’était très rassurant d’avoir leurs regards et je pense que ça a également motivé l’équipe de voir les scénaristes mouiller leurs chemises avec eux. L’équipe était super motivée, c’était très agréable de se sentir porté par ce groupe soudé. C’est une expérience humaine d’une rare intensité.

 

 

C’était un challenge de produire ça en Belgique ?

Oui un vrai challenge car c’était une première en Belgique francophone ! La Trêve a un tout petit budget comparé aux « blockbusters » scandinaves, anglais, français, et évidemment américains. La Trêve, c’est de l’artisanat. Nous l’avons fait à l’huile de coude et à l’énergie, aidés par une équipe soudée et motivée. C’est cette énergie incroyable qui, on l’espère, passe à l’écran.

 

 

 

 

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