Souvenir (souvenir)…

Liliane travaille dans une usine à la chaîne où, sur des terrines de pâté, elle place deux feuilles de laurier et quelques baies aromatiques. À longueur de journée. Puis elle dépose le pot de faïence sur le côté et recommence l’opération. À longueur de journée. Son travail n’a rien d’exaltant, mais elle prend sa vie en patience. Impassible.

 

 

Le soir, elle regagne en bus son appartement vide, mais décoré avec goût. Elle s’assied, distraite, sur son canapé, regarde sans la voir un quizz télé récurrent et s’enfile quelques whiskys secs. L’air de rien.

 

 

Un jour, à l’usine, débarque Jean, un jeune homme habillé tout comme elle d’un tablier et d’un bonnet blancs. Il l’observe du coin de l’œil en distribuant les terrines qui sortent du four. Au premier regard, il l’a reconnue :  dans une autre vie, Liliane a représenté la France au concours Eurovision de la chanson. Le père de Jean a toujours été fou d’elle au point que son épouse ne supporte pas la jeune starlette qui a disparu des écrans radars depuis longtemps.
Au début, Liliane nie, mais cette obstination devient rapidement intenable.

Ravi de l’avoir rencontrée, Jean l’entoure alors de toute sa bienveillante attention et décide de la remettre sur les rails. D’abord, en la faisant chanter lors d’une petite fête organisée par son club de boxe, ensuite en la poussant à participer aux éliminatoires du prochain concours Eurovision qui n’aime rien tant que les improbables come-back.

 

 

Déjà sur le papier l’idée est jolie. Pas forcément très originale, mais jolie. Ce qui est moins classique c’est le casting imaginé par Bavo Defurne, réalisateur ostendais qui avait surpris tout le monde avec son premier long métrage : Noordzee Texas. Si l’histoire était, au début, censée se dérouler en Flandre, elle s’est rapidement ouverte à la France par la grâce d’une coproduction assez alambiquée réunissant aussi le Luxembourg et la Wallonie (Frakas). Elle a même changé de forme et de statut quand Isabelle Huppert s’est déclarée intéressée par le rôle. Le casting devenait d’un coup essentiellement français avec le jeune Kevin Azaïs comme partenaire de la toujours géniale comédienne (on cherche en vain le moindre faux pas dans sa filmographie idéale).
Les acteurs belges n’ont bien sûr pas été oubliés avec Jan Hammenecker, habitué des films et séries francophones, dans le rôle du père de Jean, Carlo Ferrante en animateur un poil cabotin façon Julien Lepers ou encore Johan Leysen qui incarne ici l’ex-manager de Liliane avec juste ce qu’il faut de perfidie, de compassion et de cynisme dans le regard pour être crédible et touchant.

 

 

En croisant Harold et Maude et Rocky sur fond d’Eurovision de la chanson, Souvenir joue non seulement sur deux tableaux, il affiche aussi sans le moindre complexe sa passion pour un kitch assumé et un goût du mélo prononcé traversé par des saillies verbales irrésistiblement drôles (Jean avouant à sa mère qu’il va devenir manager de Liliane lui dit qu’il lui faut un costume tandis que son père totalement désemparé, répond « moi aussi ».)

 

Scénaristiquement, le film est ainsi divisé en deux parties à peu près égale au niveau du timing. Dans la première Liliane et Jean évoluent dans un univers quotidien où la répétition des tâches rythme leurs échanges tandis que leur attirance grandit. Dans la seconde, Liliane prend enfin son destin en main et accepte de tenter de revenir à l’avant-scène dans un élan qui n’est pas sans rappeler Brabançonne, un autre film flamand très francophone qui évolue sur les mêmes terres.

 

Le premier élan du film est fort captivant avec Isabelle Huppert sans fard, fascinante dans la distante qu’elle met entre elle et le monde, touchante dans ses rapports avec le bouillonnant Kevin Azaïs qui s’affiche aujourd’hui, comme son frère Vincent Rothiers, comme un des jeunes acteurs français les plus intenses.
Ensuite, même si la rédemption de Liliane semble un peu rapide, voire précipitée, le film se fait plus musical, rythmé par un tube improbable signé Pink Martini et interprété par l’actrice qui a absolument voulu chanter elle-même la chanson susceptible de la remettre en selle.

 

Porté par deux comédiens sensibles qui donnent une vraie épaisseur à leur personnage, Souvenir ressemble à une friandise sucrée avec un cœur doux-amer qui fond lentement dans la bouche et y laisse un goût agréable et intrigant qui donne envie de replonger sa main dans le paquet.

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