Nathalie Teirlinck : « je pourrais rêver d’un personnage avec la froideur de Charlotte Gainsbourg et la chaleur de Michelle Williams? Ça n’existe pas! »

Avec Le passé devant nous, Nathalie Teirlinck signe un premier long-métrage dramatique bien dans son époque et au charisme certain, l’histoire d’une mère et son enfant obligé de cohabiter et de se retrouver après le décès du père et ancien compagnon. Un film d’atmosphère flamand mais tourné en français et dans lequel la communication joue un rôle majeur. Réalisé en plein lockdown bruxellois, Le passé devant nous ne fait que confirmer tout le bien qu’on pensait d’une réalisatrice qui aime se diversifier. Interview en deux parties. La première est essentiellement consacrée au casting du film, l’autre aux conditions de tournage (1/2).

 

 

Tourner un premier long-métrage, c’est toujours stressant, non? Même si vous avez déjà un bagage de dix années de réalisation derrière vous!

C’est vrai, déjà tout ça, mon dieu. D’un format à l’autre, c’est toujours différent. Même si j’avais l’impression d’avoir trouvé une sorte de langage, j’avais aussi l’impression que je devais recommencer tout à fait. Je pense toujours que quand on fait un court ou un long, on possède un vocabulaire identique mais dont il faut réinventer la grammaire. C’est toute la différence entre poésie et prose.

 

Vous utilisez beaucoup de métaphores. Le langage, le vocabulaire, et ce sont des thèmes forts dans votre film. Déjà, vous êtes gantoise mais votre film est en français. Alors qu’on a l’habitude de voir des réalisateurs qu’ils soient flamands ou autres qui tournent dans leur langue ou en anglais, vous vous avez choisi un casting exclusivement francophone (même Johan Leysen et Johan Heldenbergh), pourquoi?

Tout est venu de mon choix pour l’actrice principale : Évelyne Brochu! Le reste a suivi. Mais c’est un défi. Ne fût-ce que parce que, quand tu es réalisateur, tu t’efforces de communiquer le plus précisément possible, avec beaucoup de nuances. Le choix des mots est crucial. C’est naturellement beaucoup plus évident quand tu tournes dans ta langue maternelle! Tu exprimes plus précisément un sentiment. Alors que dans une autre langue, tu ne possèdes pas toutes ces nuances.

Mais Évelyne est québécoise et là-bas, c’est un peu comme chez nous. Il y a deux langues au Canada et si jamais j’étais incapable de trouver les bonnes nuances, on parlait dans un mélange d’anglais pour y arriver. Et, dès le début, avec toute l’équipe et le cast, il y avait un vrai focus, tout le monde avait compris l’univers et l’émotion de ce film. Les mots n’étaient pas toujours nécessaires.

 

 

Evelyn fut la pierre angulaire, si je comprends bien. Comment cela s’est-il fait? Vous aviez écrit le film pour elle ou pas?

Je suis incapable d’écrire sur des acteurs. Je ne sais pas pourquoi. J’ai des énergies dans la tête, je fais même parfois un travail de décomposition. Par exemple, je pourrais rêver d’un personnage avec la froideur de Charlotte Gainsbourg et la chaleur de Michelle Williams? Ça n’existe pas! (rires)

Je savais dès le début que mon film serait porté par l’actrice principale et que cette étude de caractère serait différente en fonction du choix de l’actrice. Il n’y avait pas de compromis possible, c’est pourquoi je suis passé outre les frontières géographiques mais aussi de langues. Et quand j’ai vu The Nest de David Cronenberg, ce fut un choc. Je me suis demandé qui était cette actrice, d’où venait cette énergie énorme. Puis, j’ai vu Orphan Black et tout a commencé. Cette actrice, c’était Évelyne. Et, un jour, j’ai été à Montréal avec une pièce, je me devais de la rencontrer. Elle avait lu le scénario et était super-emballée. On avait l’impression que l’énergie était super intense entre nous. Et quand on a commencé à parler, on ne s’est jamais arrêtées.

 

Évelyne ne sort pas de n’importe où, elle a tourné avec Dolan, Villeneuve, Vallée.

C’est quelqu’un qui est super-doux. Et quand elle décide de prendre part à un projet, même si tu es une petite jeune belge, ça n’a aucune importance pour elle. Ce n’est pas une actrice à stratégies ! Elle choisit ses projets avec le cœur et je l’ai senti dès le début.

 

L’autre acteur principal, c’est un petit bonhomme, Zuri François qui dégage une énergie de dingue dans son interprétation de Robin. 

Ce fut dur de le dénicher! Il nous a fallu 200 enfants pour, enfin, le trouver. Il y a eu des auditions partout en Belgique, à Bruxelles, Namur, Mons… Et à Paris, Aurélie Guichard a aussi mené des castings sauvages, allant chercher des enfants dans la rue. Mais c’était un casse-tête, on était démoralisés, on se disait que ce petit garçon n’existait pas !

La perle rare, c’était un enfant sensible et, en même temps, ultra-mature, qui ne changeait pas face à la caméra, qui était capable de beaucoup d’imagination tout en percevant bien la réalité. Et à un certain moment, il y a eu Zuri qui n’était pas vraiment le type de gamin que je m’imaginais, mais il possédait un regard où l’on voyait l’intelligence, comme une « vieille âme » que je ne pouvais pas expliquer. Pendant les auditions, il restait trois enfants qui ont rencontré Évelyne. Et quand, ce fut le tour de Zuri, c’était limpide. Évelyne m’a regardé, je l’ai regardée : « c’est lui! » J’avais dit à Évelyne de prendre la main de ces garçons et de jouer avec elle.  Un enfant de six ans, une dame de trente ans qu’il ne connait pas, ça le gène, il n’est pas à l’aise. Sauf quand c’est Zuri. Il a une physicalité énorme. Rien qu’en en parlant, mes poils se dressent.

 

 

Puis il devait aussi accepter de se teindre en blond!

Et les parents, évidemment ! Parce que quand tu travailles avec un enfant, tu travailles aussi avec les parents. Et là aussi, on a eu de la chance. La maman de Zuri est la comédienne Karine Martin et elle a bien compris certaines choses. De même qu’elle a aussi préparé Zuri.

 

Sur un sujet tel que le vôtre, ça doit être dur de diriger un enfant. Que lui dit-on ou pas sur l’histoire ?

Au début, j’étais convaincue que je ne devais pas lui faire lire le scénario. Je lui ai parlé de ce qui se passait pour son personnage dans le film tout en veillant à ce que Zuri ne sache pas ce que Robin ne sait pas. Je voulais que Zuri garde une curiosité, comme son personnage.

Après, il ne faut pas toujours expliquer les grandes émotions aux enfants, il faut travailler avec eux en cherchant les émotions qui sont reconnaissables pour lui. Qu’est-ce qui le rend triste ou fâché, qu’est-ce qui fait qu’il est heureux. On a beaucoup parlé de ça. Et au moment du tournage, il faut le guider vers ces émotions qu’il a déjà ressenties dans sa propre vie. Pendant les prises, aussi, je n’ai pas arrêté de lui parler… ce qui rendait fous les ingénieurs du son.

Puis, j’ai aussi parlé avec Évelyne pour qu’elle puisse le surprendre à certains moments cruciaux. C’est le cas dans cette scène où Alice explose enfin et envoie valser la table. Quand tu as cinq ou six ans, tu es incapable de jouer cette réaction de surprise et de peur à la fois. En secret, j’avais donc dit à Évelyne de faire quelque chose. Et elle a poussé un cri, inattendu. Et d’un coup, on avait en face de nous la vraie réaction de Zuri. Instinctive.

 

Dans votre casting qui est quand même impressionnant tant il va tous horizons, il y a des Belges, des Français, une Québécoise. Vous avez senti des différences de jeux, d’écoles entre ces acteurs?

Non, pas vraiment. Peut-être parce que notre façon de travailler était assez particulière. On avait décidé de travailler sans répétition, que ce soit avant ou pendant le tournage. Même pas de répétition technique pour l’équipe. Tout était basé sur les scènes ! Bien sûr, nous n’avons pas improvisé pour autant, mais c’était important, pour moi comme pour le chef op’ de garder l’espace pour le hasard et… la réalité. Pour moi, ça aurait été tellement bizarre de composer un univers que tu as déjà créé au préalable lors de répétitions.

 

Pour garder l’énergie…

Oui, pour garder l’énergie mais aussi pour avoir des aspects différents dans chaque prise. Nous filmions toujours les prises d’une scène du début à la fin ! Toujours. Mais chaque prise était très différente des autres. Des énergies étaient créées sur place, comme dans la réalité d’ailleurs. Je voulais vraiment qu’il y ait de l’espace pour que la fiction croise la réalité.

 

Notre critique du Passé devant nous est à lire ICI

Deuxième partie de l’interview à lire très bientôt sur Cinevox.

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