Olivier Gourmet : I.N.T.E.N.S.E.

Après une sortie en France saluée par de très belles critiques, Jamais de la vie que nous avons découvert en février au Festival international du film d’amour de Mons sort ce 29 avril en Belgique.

Captivant et même bouleversant (lire ici), ce film noir dans le sens le plus pur du terme est la première rencontre de deux artistes très doués: le réalisateur Pierre Jolivet qui mène une carrière aussi atypique qu’enthousiasmante et Olivier Gourmet qui se voit ici offrir un rôle formidable comme certains n’en croisent jamais tout au long de leur arrière. Pour Olivier il s’agit d’un nouveau cadeau qui est l’occasion pour lui d’une composition assez ahurissante dans la droite ligne de celle qu’il a pu offrir aux frères dans le Fils, par exemple.

La rencontre était inéluctable. Elle tient toutes ses promesses.

 

 

Connaissiez-vous le cinéma de Pierre Jolivet avant qu’il vous appelle pour Jamais de la vie?

Pierre Jolivet avait pris contact avec moi pour un petit rôle dans En plein cœur avec Gérard Lanvin, Virginie Ledoyen et Carole Bouquet. Et puis, ça ne s’est pas fait. À l’époque il avait déjà tourné Ma petite entreprise que j’avais beaucoup aimé. J’ai continué à suivre son travail, on peut dire que je connaissais son cinéma, mais ne l’ayant croisé qu’une fois, je ne le connaissais pas, lui. Il m’avait déjà dit, à l’époque, qu’il aimerait travailler un jour avec moi sur un rôle plus important, c’était il y a quinze ans ! Et voilà, Jamais de la vie m’est arrivé, et j’ai été ravi.

 

 

J’ai lu le scénario très rapidement, parce que j’aime la façon dont Pierre Jolivet fait ses films, son plaisir de se confronter au cinéma de genre, de passer de la comédie au polar sans jamais abandonner la dimension sociale ni la volonté d’ouverture vers le public. Il existe chez certains réalisateurs une radicalité dont on sait dès le départ qu’elle réduira le nombre des entrées. C’est un long débat, j’en ai souvent parlé avec les frères Dardenne : lorsqu’on est trop radical, on restreint finalement la portée de ce qu’on veut transmettre. Et à cet égard, je trouve que Pierre a trouvé un difficile équilibre : tant qu’à faire venir des gens dans une salle de cinéma, autant leur montrer des films qui ont quelque chose à dire, sans avoir honte de les distraire dans le sens noble du terme. Comme Clint Eastwood, par exemple peut le faire.

 

Si je devais réaliser un film – je pense qu’un jour je m’y essayerai – tout en étant radical – peut-être plus encore que les Dardenne, au fond de moi et par plaisir de spectateur -, j’irai davantage vers le cinéma de Pierre Jolivet !

 

 

Vous avez tourné près de 80 films ! C’est vertigineux !

Quand je ne tourne pas, je ne suis pas bien. Mais j’ai besoin aussi de ne pas tourner. Je ménage des sas entre deux films. Des petits sas. Après un mois, je n’ai qu’une idée, c’est d’y retourner. De tourner. C’est un besoin physique. Comme un sportif qui a besoin d’entraîner son corps, mais là il s’agit aussi du cœur et de l’esprit. Je ne m’en lasse pas. Ce n’est pas de la boulimie, c’est de l’appétit. Un appétit que j’éprouve aussi bien pour des rôles secondaires que pour des rôles principaux.

 

Ce qui me motive, ce qui m’entraîne, c’est d’aborder des univers différents, d’entrer dans la vie de mon personnage, comme dans la vraie vie on fait la connaissance des gens. Et j’ai la chance d’avoir le choix. Les critères lorsque je lis un scénario ? Est-ce que je suis touché, ému ? Est-ce que ça me raconte quelque chose ? On me fait parfois un compliment du genre : «Vous qui tournez tant, il ne semble pas que vous ayez des tics d’acteur, comment faites-vous ? ».

Je réponds sincèrement que je ne sais pas, que je ne me pose pas de questions à ce sujet. Je me pose en revanche beaucoup de questions sur le personnage, sur ce que raconte l’histoire, sur l’univers du réalisateur, sur ce que nous allons raconter ensemble. C’est ce qui me semble le plus important. Alors, ma performance…

Je ne fais pas vraiment attention à ce que je dois faire, à ce que je vais faire et à comment je vais le faire. La seule question que je me pose vraiment est celle-ci : « est-ce que j’ai envie de faire un bout de chemin avec cet homme-là – le réalisateur -, et avec ce type-là – le personnage ? ». J’arrive sur un nouveau plateau comme après une bonne douche, complètement lavé. Confiant, libre.

 

 

Chez les frères Dardenne, de La promesse au Fils en passant par Rosetta, vous avez collectionné des rôles magnifiques, mais des personnages plutôt rugueux, et puis ça s’est ouvert…

Je suis curieux, c’est probablement une qualité. Rencontrer les gens, voir des gens, se trouver une famille. C’est comme ça que j’ai commencé : chez moi, en Belgique, au théâtre. J’y avais trouvé un groupe, une famille avec qui j’ai aimé travailler, et avec qui j’ai toujours été clair, sans jamais les trahir. Leur disant que j’étais bien avec eux, mais qu’un jour, j’irai voir ailleurs.

Ainsi, après le conservatoire, je suis comme on dit « monté à Paris », quoique pour moi, il s’agissait plutôt d’y descendre. Je voulais demander à Patrice Chéreau d’entrer dans son école du Théâtre des Amandiers. Sauf qu’il venait de la fermer…

Mais cette liberté d’avoir le choix que je m’étais accordée en quittant la Belgique, je n’ai jamais voulu m’en priver. Et aujourd’hui, j’ai cette chance-là, cette liberté-là, de choisir les films qui m’attirent, qui m’appellent pour de bonnes raisons. En tous cas les miennes !

 

 

Il y avait donc de bonnes raisons d’endosser le personnage de Franck ?

Oui, c’était très excitant de se voir proposer ce personnage (extra) ordinaire, mais tellement concret et proche de la réalité sociale d’aujourd’hui. Cet homme vient du combat syndical, il était engagé, actif. Mais il a poussé le bouchon trop loin, il a eu le tort de se croire le sauveur du monde.

Maintenant il est au fond du trou, il a un travail – veilleur de nuit -, qui l’ennuie à mourir, et on pense d’abord que pour lui désormais l’essentiel est que rien ne vienne troubler sa léthargie protectrice.

Le jour il dort, donc il n’est plus dans la vie, il n’est plus dans le monde. Il ne voit personne, un peu sa sœur, son beau-frère, et ce n’est pas un cadeau non plus. Mais chassez le naturel, il revient au petit trot. Il y a cette voiture qui rôde, qui l’intrigue. Et qui l’entraîne un peu plus loin. La fatalité s’installe, qui à la fois le réveille et le condamne. C’est beau à faire… Au début

Franck est comme éteint dans sa solitude, et petit à petit, il y a des évènements, des rencontres qui le réveillent, le rendent à lui-même. Que ce soit ses relations avec Ketu, son jeune copain black, agent de sécurité de la banque de la galerie marchande, ou avec Chad, le petit dealer de la cité, on voit peu à peu poindre chez Franck des bulles d’humanité comme surgies d’une source qui semblait tarie.

 

 

Pierre Jolivet dit : « On ne dirige pas Olivier Gourmet, il sait faire…» Mais tout de même, quel metteur en scène est-il, quel directeur d’acteurs ?

Je le dis souvent, j’ai la chance de travailler avec des gens qui travaillent. Pierre est de ceux-là. Mon choix va toujours vers les scénarios qui ont été travaillés. Il y a du grain à moudre et du pain à manger. Pierre fait partie de ces réalisateurs qui démarrent leur film avec une idée forte de ce qu’ils veulent faire, de l’histoire qu’ils veulent raconter et du matériau technique et humain qui va leur permettre d’y parvenir. Une vraie idée des personnages, des situations, du rythme du film, des lumières, de la façon de cadrer, de la forme et du fond. C’est là d’emblée, et donc quand vous arrivez le matin, vous voyez le type qui a travaillé, vous voyez le décor en place, la lumière en place, et on a discuté avec Pierre en amont de ce que j’appelle toujours la ligne. Du point de départ au point d’arrivée du personnage.

Oui, il y a eu une lecture avant le tournage, sans enjeu considérable, une façon de faire connaissance, de traverser psychologiquement la ligne du personnage, d’aborder ses humeurs, ce qu’il est à un certain moment du film et comment il évolue. Ce qui veut dire que lorsque j’arrive sur le plateau, je suis Franck. Un exemple : lorsqu’apparaît Mylène, la conseillère du centre social que joue Valérie Bonneton, on sait ce qui va se passer entre Franck et elle. On sait que Franck va éprouver une attirance pour elle, sauf qu’entamer une relation, c’est s’exprimer, c’est s’engager, et Franck à ce moment-là en est incapable.

Tout ça on le sait avant de tourner, et lorsqu’on arrive ainsi nourri, on peut espérer donner le meilleur.

 

Entre Mylène et Franck, il y a cette scène étrangement touchante devant le supermarché, où il l’aide, et elle lui abandonne la pièce de un euro du caddie…

Cela signifie que pour tous les deux qui ne sont pas riches, oui, un euro, c’est un euro. En même temps, si cette petite scène est touchante, il faut parler de la mise en scène qui peut apporter du supplément d’âme à une scène somme toute banale : un homme, une femme, un caddie et un euro !

C’est touchant parce qu’il s’agit de gestes concrets, d’instants de la vraie vie. Et moi, rien ne m’émeut davantage que lorsqu’un réalisateur parvient à se saisir de ces gestes-là. Et tout en restant dans le concret d’une situation, par la façon qu’il a de la filmer, avec les hésitations, les regards, les silences, on perçoit où les choses se passent, indiciblement.

 

Toutes les frustrations que Franck ressent s’échappent à un moment à travers un véritable cri primal. Il faut être prêt à le pousser, ce cri, au jour J, à l’heure H !

Ah ! La ! La ! Oui ! J’appréhende toujours ce genre de scène ! La technique a eu tout le temps de se mettre en place, et puis trente secondes après : « Moteur ! »Et vas-y. Oui, on se prépare, on se met dans un coin, et puis on gamberge. Je n’aime pas l’expression « se mettre dans des états »,mais oui, on pense à des choses, parfois de sa propre vie. On a tous quelque chose au fond de soi qui donne envie de faire « AHAHAH ! ».

Chaque comédien fait comme il est, mais moi, j’ai besoin de me sentir au plus près du personnage à ces moments-là. Il y a ce plaisir et cette exigence. Pour moi, c’est une exigence de raconter le personnage avec le plus de sincérité possible, avec le moins d’artifices et d’effets possibles. Après, on a toujours peur que ça n’ait pas été exactement ce qu’on voulait, que ça ait pu sonner faux. « Ça sonne juste ? ». « Ah ! Bon !» Non, il n’y a pas eu beaucoup de prises, deux je crois.

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