Le Grand Paysage… 30 ans après

Il a plu sur le Grand Paysage sort en salles et c’est un évènement. Le film décroche beaucoup de presse et attire notre attention blasée sur l’épouvantable malaise qui ronge le monde paysan. Et au-delà sur la fin d’une civilisation, peut-être…

Hasard ou coïncidence, ce documentaire qui offre un écho singulier au très récent, L’Hiver Dernier, de John Shank; une fiction certes, mais traitée sur un mode hyper réaliste qui mettait déjà en évidence l’agonie du monde rural. Interpellant.

 

En 1981, avec Le grand paysage d’Alexis Droeven, Jean-Jacques Andrien évoquait la mutation du monde agricole taraudé par des questions vitales – s’industrialiser ou s’éteindre, s’adapter aux normes de la CEE ou se marginaliser -. Le thème était abordé sur fond d’un paysage affectif et dramatique : celui de la mort d’un père, agriculteur au Pays de Herve, qui disparaît laissant son fils confronté au choix difficile : reprendre la ferme ou décider de s’exiler en ville, s’inventer une nouvelle vie loin de ces problèmes, quitter le grand paysage d’Alexis, son père, comme lui suggérait sa tante, la belle Nicole Garcia, avocate à Liège ?

 

 

30 ans plus tard, avec son film documentaire Il a plu sur le grand paysage, le réalisateur revient donc sur ces lieux pour rencontrer le vécu et les incertitudes des agriculteurs en 2012.

Au XXIe siècle, soumis au diktat du néo-libéralisme le plus impitoyable, l’agriculteur européen doit faire face aux règles de la PAC (Politique Agricole Commune), et de l’OMC … de plus en plus compliquées à appliquer et qui changent sans cesse.

« Nous vivons aujourd’hui dans un monde d’une immense insécurité économique. Pour mon père, ce n’était pas pareil et j’imagine que pour le sien, ce l’était encore moins ! » (un jeune agriculteur du Pays de Herve – en 2007)

 

 

En trois générations, on est passé d’un état où la maîtrise de la capacité de production dépendait de la bonne connaissance des contraintes locales, à une situation dans laquelle les contraintes de production locales sont soumises aux lois du marché mondial de rentabilité maximale. Ce qui a transformé l’agriculteur, autrefois autonome et maître de son sort, en une sorte de salarié complètement asservi et coupé de sa propre culture.

 

Un constat qui fait dire à ce jeune agriculteur du Pays de Herve : « La logique économique que nous vivons aujourd’hui agit sur nous d’une façon telle que nous nous déconnectons du monde dans lequel nous vivons. Nous en arrivons à nous irréaliser de plus en plus (…) J’ai l’impression de vivre dans l’absurde.  Sans passé auquel me référer et sans futur dans lequel espérer».

 

 

Le passé étant devenu obsolète et le futur étant à ce point sombre et incertain, l’agriculteur du Pays de Herve vit à présent dans un état d’inquiétude permanent. Il flotte. Il est comme en état de suspension. Il ne fonctionne que pour survivre raconte au réalisateur l’épouse de l’un d’eux. Certains se suicident.

 

Et à peu près tout le monde s’en fiche au nom d’une rentabilité qui remplacerait toutes les valeurs fondamentales qui font de nos sociétés une civilisation.

Aujourd’hui, l’agriculture est traversée par une crise historique, sans doute la plus grave qu’elle ait jamais connue. Définitive? Pas impossible. On peut facilement y voir le symptôme d’une crise beaucoup plus large qui touche l’ensemble de la société occidentale.

Pour John Berger,  « Ce n’est plus seulement l’avenir des paysans qui est en jeu dans cette continuité. Les forces qui aujourd’hui, presque partout dans le monde, éliminent ou détruisent la paysannerie représentent la contradiction de la plupart des espoirs contenus autrefois dans la notion de progrès historique. »

 

 

Le vif du sujet du film, il est là, dans cette crise identitaire résultant de crises beaucoup plus larges qui touchent l’ensemble de la société.

Dans ce marasme sans précédent, c’est « l’humain » qui a, d’emblée, intéressé Jean-Jacques Andrien;  cette problématique existentielle résultant de situations économiques et politiques saisies dans leur historicité.

Ce sont des parcours de vie qu’il a voulu filmer, des parcours de « combattants », de « survivants ».

Dans ce film, il n’a pas tant cherché à dresser le tableau d’un monde révolu ou finissant, que de montrer des gens pris dans un processus de survie. Des gens qui ne cessent de se battre pour tenter d’avancer encore un peu.

Filmer les inquiétudes, les peurs de l’inconnu et du vide, la colère et le désespoir, mais aussi la révolte et les rêves de ceux pour qui l’avenir a toujours été un chemin étroit à travers une étendue indéterminée. Jean-Jacques Andrien nous entraîne sur ce sentier chaotique pour un voyage dont on revient la tête lourde et le cœur au bord des lèvres.

 

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