« Animals », l’uppercut

"Animals" de Nabil Ben Yadir

Ce mercredi sort Animals, le nouveau film de Nabil Ben Yadir, inspiré de l’affaire Ihsane Jarfi. Un film puissant, radical et sans concession. Un véritable uppercut, émotionnel, moral et esthétique.

C’est un vrai geste de cinéma que pose Nabil Ben Yadir, un geste radical, qui scrute les dernières heures d’un jeune homme, victime d’un crime homophobe sauvage, et les heures qui suivent…

Une nuit en enfer. Brahim a la trentaine. Il est beau, intelligent, affectueux, soucieux de ses parents, de ses proches. Un jeune homme bien. Alors que sa mère fête son anniversaire en grande pompe au milieu de ses amis, sa famille, ses voisins, Brahim semble inquiet. Il attend un ami. Son ami. Les présentations le stressent, et les regards en coin que lui jettent ceux qui savent ne contribuent pas à faire baisser la tension. 

Quand Brahim comprend que ce ne sera pas soir qu’il pourra enfin dire aux gens qu’il aime qui il est, il s’enfuit. Il fuit vers son destin tragique, qui lui fait croiser la route de quatre mecs dans une bagnole. La pression monte vite dans l’habitacle. L’impossible communication entre Brahim et ces quatre gars vire vite à l’abus verbal, puis physique. Ces quatre garçons font basculer la nuit dans la terreur, jusqu’à la mort. Jusqu’à ce que le lendemain, le soleil se lève à nouveau.

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Inspiré d’une histoire vraie qui a fortement marqué les esprits, le meurtre d’Ihsane Jarfi, considéré juridiquement comme le premier meurtre homophobe en Belgique, Animals entraine le spectateur dans un voyage au bout de l’enfer. Nabil Ben Yadir refuse de contourner la violence pour s’y confronter, lui comme nous.

Le récit se construit puissamment en trois temps. Le premier temps est une entreprise vivante, qui donne à connaître Brahim, qui redonne vie, corps et âme à la victime. On suit de près, de très près le jeune homme, magnifiquement incarné par Soufiane Chilah. Le cinéaste travaille un format 4/3 en longs plans séquences qui nous plongent en immersion dans la vie de Brahim. 

On comprend ses forces et ses faiblesses, on voit l’amour qui l’entoure, les doutes qui l’assaillent. On rencontre un jeune homme, soumis à des interrogations qui pourraient être les nôtres, celles de nos frères, de nos amis. 

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Pour conter cette histoire radicale, il fallait une forme radicale. On embarque avec Brahim dans le véhicule qui l’emmène vers sa mort. On observe la peur envahir son regard, la noirceur se propager peu à peu. 

Le format change brutalement quand débute la mise à mort. L’issue forcément sera fatale, personne ne peut l’ignorer, ni le public, ni les meurtriers. Ce qui terrasse, ce n’est pas tant la violence que l’indifférence, ce ne sont pas tant les coups que les ricanements, des rires déshumanisants, qui célèbrent la naissance des monstres.

C’est de ça aussi que parle Animals, de la fabrique des monstres. Et de l’après. Dans un troisième mouvement sidérant, comme un miroir, on s’interroge: y’a-t-il une vie après le crime, ou plutôt, comment peut-il y avoir une vie après le crime?

Le film soulève de nombreuses questions, notamment celle-ci: comment écrire la violence cinématographiquement? Difficile de trop en dire sans risquer d’amoindrir la puissance du choix de mise en scène posé par le réalisateur, mais celui-ci, radical, crée la répulsion autant que la réflexion, confrontant le spectateur à une violence sans filtre particulièrement dérangeante.

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Fort d’un arc narratif redoutable, Animals nous interroge également sur les ravages de la masculinité toxique, et la difficulté d’exister en groupe, quand on a peu de mots pour s’exprimer, quand on a grandi sur des terres brûlées par la violence familiale et sociale. On prend en pleine face le nihilisme total d’une société gangrénée par la violence, une violence d’autant plus irrépressible qu’elle est souvent mise en scène comme un spectacle.

Difficile dans ce contexte de définir quelles sont nos limites, quelles sont celles du cinéastes, quelles sont celles de ses comédiens? Des comédiens pour la plupart non professionnels, qui insufflent un réalisme presque palpable, renforcé par le format 4/3 choisi par Nabil Ben Yadir, et par l’effet « temps réel » induit par les plans séquences.

Animals est un choc, qui ne peut laisser indifférent, qui rebutera certains, qui en bouleversera d’autres, et qui sidèrera d’abord avant de revenir dans l’esprit du public, et de (re)lancer la réflexion.

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