Arieh Worthalter: « Il y avait une note à trouver, la bonne tonalité »

Rencontre avec le comédien belge Arieh Worthalter, qui présente ce soir en ouverture du Brussels International Film Festival Serre-moi fort, le nouveau film de Mathieu Amalric.

« C’est vraiment agréable d’ouvrir un festival chez soi, après une période aussi… sèche. Et j’ai beaucoup d’amis ici, l’impression d’être en famille. C’est très détendu. Mais c’est toujours un peu détendu en Belgique, non? » Si!

Difficile d’aborder le nouveau film de Mathieu Amalric, dont Arieh Worthalter tient le premier rôle aux côtés de l’excellente Vicky Krieps, sans risquer d’en dévoiler trop, de gâcher pour le public sa découverte du film. C’est donc sur un fil d’équilibriste qu’avance la discussion, pour ne pas trop en dire, tout en relatant cette expérience de cinéma puissante, qui avait déjà commencé sur le tournage…

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce projet?

En général, j’embarque sur un projet grâce à une rencontre, ici c’était Mathieu Amalric. On a été manger un bout, je ne savais pas de quoi il s’agissait, et j’ai été séduit par cette rencontre. C’est seulement après qu’il m’a envoyé le scénario.

Et les scénarios de Mathieu Amalric, ce sont de drôles d’objets, assez fantastiques, avec des notes partout, des intentions, du rouge, du jaune, du vert, du bleu. Et il y avait une puissance émotionnelle incroyable qui se dégageait du scénario. En tant que lecteur, je me suis senti vraiment happé. Il y avait des inventions scénaristiques que je trouvais complètement dingues.

Et puis quand on repense à la filmographie de Mathieu en tant que cinéaste, il y a un vrai langage de cinéma qui s’affirme, assez sublime, c’était déjà magnifique dans Barbara, ça l’est à nouveau ici.

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Crédit: Charles Paulicevich

C’est aussi une approche très libre de la narration, et du cinéma.

Mathieu ne peut pas faire autrement qu’être libre je crois. Ce n’est pas tant qu’il prend cette liberté, c’est qu’elle est intrinsèque à son cinéma. Il dormait juste au-dessus de moi pendant le tournage, moi je me lève très tôt, mais lui encore plus. Il se levait vers 4 ou 5h tous les matins, et réécrivait les scènes du jour. C’est une vraie joie de travailler comme ça.

Et sur le plateau, il prend vraiment le temps d’arriver là où il souhaite aller avec les comédiens. C’est très précieux.

Il y a la rencontre avec le réalisateur, puis avec un personnage?

Marc, mon personnage, est un père de famille, ingénieur ferroviaire. En fait ces dernières années, j’ai fait pas mal de rôles où la construction du personnage était très importante. Et là, il y avait zéro construction. Il y a des rôles comme ça où il faut juste ouvrir un robinet, un seul, et laisser l’eau couler. Il y a eu quelques discussions avec Mathieu bien sûr, mais on n’a pas épluché le scénario ou discuté de chaque séquence en détail.

Ca c’est beaucoup fait sur le plateau. Avec Marc, il y avait une note à trouver, c’était très musical, c’était une question de tonalité. C’est très jouissif, et très libérateur. Et finalement, beaucoup plus compliqué que ça n’en avait l’air au départ!

Et puis je joue beaucoup avec des enfants, et dès qu’on joue avec des enfants, c’est une question d’écoute. J’ai pas mal joué avec des gosses, et il y a quelque chose qui est déjà fait avec eux, car il n’y a plus d’effort à faire pour être là. On ne peut pas faire autrement qu’être là avec les gosses. Quand en plus tout est aussi bien écrit, c’est comme des dominos, tout s’enchaîne sans efforts.

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C’est aussi une histoire d’amour, qui se joue sur différentes temporalités, réelles et fantasmées.

Moi je suis plutôt d’une école, peut-être américaine, où je ne peux pas jouer une idée, une abstraction, ou un fantôme. Pour moi, c’est forcément un personnage réel, au présent. C’est ça qui rend le récit plausible aussi. Quand je me suis posé devant le scénario pour commencer à travailler, j’ai tout abordé au présent, au premier degré. Il faut rester au plus simple, pour laisser le plus de liberté possible au spectateur comme au réalisateur ou à ses partenaires, pour que chacun raconte sa propre histoire.

Ce que vit Marc finalement, c’est très classique. C’est arrivé à tellement de gens, se faire quitter. Il faut laisser la place à chacun de se projeter.

Quel était le plus grand défi en tant que comédien sur ce film?

Et bien certains textes n’étaient pas forcément faciles à dire. Il étaient peut-être très écrits, avec un côté un peu théâtral. Et au cinéma, ce n’est pas évident à faire passer. Et c’est très excitant je trouve. Le français est parfois difficile au cinéma je trouve, plus que le flamand ou l’anglais. La mélodie peut être plus vite piégeante. Mais j’aime beaucoup ça. Souvent en tant qu’acteur, on est tentés de vouloir changer des dialogues, et parfois on a raison, mais là il y avait un rythme, une langue qui pouvait constituer un défi, et c’était passionnant.

Le plus enthousiasmant sur le plateau?

L’équipe! L’équipe était magnifique… J’avais l’impression d’être avec une troupe de théâtre. Ca fait 20 ou 25 ans qu’ils bossent tous ensemble, ils travaillent même sur des films où Mathieu est juste acteur. On a l’impression d’être avec une grande famille, qui peut tout se dire, sans chichi, c’est simple, c’est beau. Et quand c’est dur, c’est partagé, ensemble, pas chacun dans son coin. Ca crée une ambiance de joie, assez infectieuse.

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Crédit: Roger Arpajou

En tant que spectateur, qu’est-ce qui vous a le plus marqué?

C’est toujours difficile de faire abstraction de son propre travail, donc c’est vraiment des choses de cinéma que je retiens, à l’âge que j’ai je commence à voir d’autres choses, expérience oblige, des choses parfois très techniques.

Mais ici, la mise en scène de Mathieu, et le montage de François Gédigier sont fantastiques. C’est très fort, on ne voit plus beaucoup de narrations qui se permettent tellement de liberté. On en viendrait presque à penser que nos cerveaux ne sont plus capables de recevoir cette liberté, ou à tout le moins qu’ils sont rouillés. On est tellement amenés à voir l’inverse de ça…

En voyant le film au cinéma, ça m’a rappelé qu’on peut faire ce qu’on veut en fait. Et ça fait du bien.

Qu’est-ce qui vous a surpris, ou conforté dans votre idée dans les réactions du public?

J’ai surtout vu beaucoup d’émotions. Les gens avaient reçu quelque chose, et il fallait l’exprimer, en discuter. Aller boire un coup. C’est toujours très beau, ces réactions. Quand un film me fait ça, j’adore. Quand je sors du film et que je ne peux pas juste prendre le métro, rentrer à la maison. Qu’il faut répondre au film, même juste aller boire un verre, ou faire une ballade.

Quels sont vos projets?

J’ai tourné dans le dernier film de Patricia Mazuy en début d’année, qui devrait s’appeler Totem. C’est un polar assez sombre. L’histoire d’un flic… C’est tout ce que je peux dire à ce stade je crois! Et puis je vais tourner dans le prochain film de Cédric Kahn.

Mais je suis surtout en train de préparer mon premier album en tant que musicien, que l’on devrait enregistrer d’ici quelques mois. Je compose, j’ai écrit les textes, je chante, et je joue de la guitare. C’est du rock plutôt alternatif. J’ai grandi en Flandre, vécu au Canada, donc tout est en anglais, c’est plus naturel pour moi. J’ait tout écrit à la guitare, on est en train de réfléchir aux arrangements, c’est très excitant.

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