« Burning Out », systèmes en crise

C’est à une plongée fascinante dans un système en crise que nous invite Burning Out. Ici, l’hôpital, ou plus précisément le service de chirurgie où s’est infiltré le réalisateur, est observé à la loupe. A l’image des petites caméras chirurgicales qui assistent aujourd’hui les médecins, Jérôme Le Maire pénètre au coeur d’un corps malade, d’un système défaillant, au bord de la rupture, pour en observer les plaies et les lésions, et rêve un peu fou, assister aux prémices du processus de guérison.

 

L’hôpital, corps malade, est un reflet de notre société, un organe atteint comme tant d’autres. Les plans d’ouverture et de clôture du film ne laissent aucun doute à ce sujet, l’hôpital fait ici office de micro-société, sur laquelle le réalisateur zoome et dé-zoome, la réinscrivant ainsi dans le macro, notre corps sociétal.

 

 

Pendant 2 ans, le réalisateur belge Jérôme le Maire a suivi les membres de l’unité chirurgicale dans l’un des plus grands hôpitaux de Paris, l’hôpital Saint-Louis. Ce bloc opératoire ultra-performant fonctionne à la chaine : 14 salles en ligne ayant pour objectif de pratiquer chacune quotidiennement huit à dix interventions. L’organisation du travail, bien qu’extrêmement sophistiquée, est devenue pathogène. Le personnel médical et paramédical courbe l’échine. Stress chronique, burn-out, et risques psychosociaux gangrènent l’hôpital.

 

Chirurgiens, anesthésistes, infirmiers et aides soignants, mais aussi cadres, gestionnaires, et directeurs sont pris dans une course effrénée qui semble sans fin. Consciente de ce problème, l’administration a commandé un audit sur l’organisation du travail afin de tenter de désamorcer le début d’incendie.

 

 

 

Burning Out est inspiré de l’ouvrage du philosophe belge Pascal Chabot (Global Burn Out), qui a d’ailleurs collaboré à l’écriture du projet, et auprès duquel Jérôme Le Maire a pu glaner nombre d’idées, réflexions, faits et témoignages avant de concevoir le film, au hasard (provoqué, comme souvent) d’une rencontre à l’hôpital Saint-Louis avec un médecin anesthésiste, le docteur Marie-Christine Becq, qui deviendra l’une de ses principales héroïnes. On suit dans Burning Out le quotidien du corps médical, dans un hôpital au bord du chaos, où l’adage « la santé n’a pas de prix » semble bien loin. Le rendement est au coeur des enjeux de l’hôpital public, vampirise les protocoles, et asphyxie les équipes. L’équilibre du tout ne tient qu’à un fil, et plus d’une fois, d’aucun craint de voir ce fil dangereusement élimé rompre.

 

Tous ou presque semblent vouloir oeuvrer à contre-courant de la logique d’industrialisation du processus médical, sans bien sûr en avoir les moyens. Les patients sont devenus des numéros, et les soignants se sentent rétrogradés. Le métier passion est devenu un simple boulot. Au bord d’un précipice technique, logistique, relationnel et émotionnel, les soignants, qu’ils soient chirurgiens, médecins, infirmiers, cadres ou aide-soignants, luttent pour maintenir la situation à flot, et surtout, garantir leur bien le plus précieux: la santé des patients. Car sous les mains fébriles des blouses blanches, ce sont bien des vies qui sont en jeu. Quand ceux qui soignent sont malades, quel diagnostic peut-on faire du corps social?  

 

 

En étudiant les mécanismes du burn-out au coeur de l’hôpital, Jérome Le Maire met en scène ce mal du siècle dans un théâtre où les enjeux dramatiques sont démultipliés. Si le burn-out est un mal qui ronge toute la société, il ronge ses victimes au plus profond d’elles-mêmes. Ce travail d’exploration, le réalisateur le met en scène en filmant l’intérieur du/des corps, déployant une esthétique des viscères, des organes, des vaisseaux, montrant à voir la beauté, la force et la fragilité de corps mis en péril par l’épuisement pathologique des soignants. Ces scènes crues et magnifiques à la fois contrastent avec les témoignages des membres de l’équipe de chirurgie, ou les tensions saisies au détour d’un comptoir ou d’un couloir, et rappellent que l’humain est la source et la solution du problème.

 

Ce que souhaite montrer Jérôme Le Maire, c’est un mal, mais aussi une possible guérison, une guérison qui passerait par la capacité à réinjecter de l’humain dans le système. La figure du réalisateur suit d’ailleurs avec un intéressant parallélisme ce mouvement, de plus en plus présente au fil de l’exploration, jusqu’à jouer une part presque active de lien, d’émissaire, de go-between sur la fin. Car ce que voudrait croire Jérôme Le Maire, c’est qu’une fois le mal identifié, il puisse être combattu. Comme le dit Bob Dylan dans l’ultime et salvateur plan du film, The Times They Are A-Changin’.

 

Burning Out sort en salle le 3 mai prochain.

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