Christophe Hermans: « C’est un film qui s’est construit dans la confiance, dont Victor est devenu lui-même auteur »

Rencontre avec le réalisateur Christophe Hermans, et le héros (ou anti-héros) de son documentaire, Victor, à l’occasion du Festival International du Film Francophone de Namur, où le film était sélectionné.

Comment vous êtes-vous rencontrés?

Victor

En 2013, j’ai fait un petit dépliant pour promouvoir « La Lumière », une association qui facilite l’intégration en milieu scolaire de personnes malvoyantes. Christophe s’est intéressé à mon profil, car j’étais en plein transition entre l’adolescence et l’âge adulte. J’avais 16 ans, j’allais entrer en rhéto. Il voulait filmer cette période charnière.

Christophe Hermans

C’est aussi parce que dans ce document, Victor n’était pas en accord du tout avec ce que proposait l’association La Lumière, cette idée d’assistance.

Il était déjà dans une forme de révolte.

On s’est rencontrés. J’étais très marqué par le fait qu’il était dans le déni de son handicap, il n’acceptait pas sa maladie. On m’a dit que Victor n’accepterait jamais d’être filmé, et puis finalement…

Comment cela s’inscrit-il dans votre travail de cinéaste?

Christophe Hermans

En fait c‘est une trilogie sur l’adolescence, Corps étranger parlait d’un garçon touché par l’obésité, qui pesait 180kg au début du film, 70kg à la fin, et se réconciliait entre temps avec son père. Puis j’ai fait Eclaireurs, qui traitait du joyeux chaos de l’adolescence à travers un camp scout, des ados qui jouent à être responsables. Victor, c’est ce segment qui clôture quelque chose pour moi, le passage d’une dépendance à l’indépendance.

Un garçon qui décide de s’émanciper de sa propre mère pour pouvoir se construire.

Victor, c’est un héros, ou plutôt un anti-héros tout trouvé?

Christophe Hermans

Pour moi un héros, c’est de toutes façons un anti-héros. C’est-à-dire une personne complexe. Et Victor est une personne très complexe. Quelqu’un qui était dans le déni, et en même temps acceptait d’être filmé. Un paradoxe total en somme. J’avais envie de voir ce gars d’1m90 avec quelques kilos en trop, mais qui décide de faire un triathlon, ce que moi je serais incapable de faire.

Voir comment Victor est capable de gravir des montagnes, et traverser des épreuves malgré son handicap.

Est-ce que ce film, c’était aussi un outil d’émancipation pour vous Victor?

Victor

Je ne pense pas que j’avais vraiment cette envie quand j’ai accepté. En fait, j’étais très curieux du monde des artistes. Moi je viens d‘un milieu rural, et c’est un monde qui m’intriguait. J’étais un grand lecteur, mais je ne connaissais pas le cinéma. Et la caméra, je trouvais ça mystérieux, vu que je n’ai pas la même conception de l’image que les autres. Aujourd’hui, je trouve que c’est vraiment étrange que j’ai accepté quand j’y repense. L’image que l’on renvoie aux autres, c’est tellement important. Or moi par exemple, je ne maitrise vraiment pas les codes des réseaux sociaux comme Instagram, n’ayant pas la vue, c’était donc un risque. Mais aujourd’hui je suis fier qu’il existe un film sur moi.

Comment s’est créée la confiance entre vous?

Christophe Hermans

La confiance forcément se vit à deux, je dois avoir confiance en Victor, et il doit avoir confiance en moi. On a toujours été sincère l’un envers l’autre. Quand il ne voulait plus être filmé, notamment quand c’était trop pour lui, je l’écoutais. Victor est quelqu’un qui contrôle en permanence, et quand il manque de contrôle, il peut se retrouver incapable de gérer. Moi, je me devais alors d’arrêter. Ethiquement parlant, je devais respecter sa volonté.

L’objectif était que le film ne soit pas que sur le handicap, mais soit porté par un héros.

Montrer comment un gars ordinaire, qui a cette pathologie, arrive à surmonter tout ça et à y arriver.

Victor

Ca s’est fait dans l’acceptation et la confiance, chaque fois que Christophe trouvait que ça en valait la peine, et que j’étais contre, il y avait combat. J’ai un caractère dur, et je ne laisse pas passer les choses. Pour mon bal de promo, par exemple, je ne voulais absolument pas qu’il me filme, et puis finalement, il a quand même réussi à me filmer sur le chemin. On a dû se retrouver, parfois. Il a dû insister, même si je n’ai pas toujours été très coopératif. Mais j’imagine qu’il savait où il allait.

Le rôle du cinéaste, c’est aussi d’écrire cette prise d’indépendance.

Victor

Moi je ne vois pas l’évolution de ma maladie comme une perte d’autonomie. Pour moi, je suis de plus en plus autonome. C’est une question d’adaptation à une réalité pratique, et je me trouve plus efficace maintenant, même si j’ai moins de champ visuel. J’ai dû palier à ce manque, ce qui m’a fait avancer, notamment dans le fait d’assumer le handicap.

Ce n’est pas très consensuel de raconter le fait d’être dans le refus du handicap, ce’st un discours que l’on écoute peu

Victor

C’est l’une des forces du documentaire, sa justesse dans le propos. Il n’édulcore pas.

Il ne transforme pas la parole. Je suis dur parfois, avec les autres mais aussi avec moi-même. Ce rejet, je l’ai toujours, mais je vis avec. C’est un combat tellement quotidien, que je n’arrive pas à m’identifier aux autres personnes qui ont un déficit visuel. Je ne me sens pas comme les autres, je ne veux pas leur être associé juste à cause de mon handicap. Je suis moi, et personne d’autre.

Quelles limites vous étiez-vous posées?

Christophe Hermans

Je me questionne toujours sur la question de la limite dans mes documentaires. Jusqu’où peut-on filmer l’intime? Quand Victor est chez sa psy, est-ce qu’une caméra a le droit d’être là? Je pense que oui, c’est un accompagnement sur un certain nombre d’années et c’est aussi avoir accès à la fragilité de Victor, une fragilité où il ne peut mentir.

Ces moments-clés d’intimité, où je questionne mes limites, je pense que c’est un grand apport sur le film.

Quand la psy de Victor parle avec sa mère, c’est l’un des moments les plus forts du film pour moi. Les limites, c’est que quand Victor se sentait mal à l’aise, on s’arrêtait. Par exemple les moments de groupe, qu’ils avaient simplement envie de vivre avec ses potes, sans caméra, j’acceptais la limite. Mais ça ne m’empêchait pas de revenir à la charge après.

Dans des moments très forts comme l’opération, le rapport à la mère, le triathlon, il n’a pas mis de limites.

S’il comprenait ce que je cherchais derrière le fait de l’accompagner dans ces moments fragiles, il acceptait ma présence.

Dans toutes les difficultés qu’il a traversées, il m’a permis d’être là à ses côtés. 

Est-ce que vous diriez que c’est un projet qui s’écrit à deux?

Christophe Hermans

Je pense que comme pour chacun de mes documentaires, j’ai un angle, un prisme dans lequel j’inscris Victor, mais c’est clairement un film qui se construit à deux. C’est un film qui se fait dans la confiance, sur une longue durée, ce qui fait que Victor lui-même devient auteur du film. Victor nous a offert des moments de sa vie.

 

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