Claude Schmitz: « Les acteurs et les actrices sont comme des chevaliers errants »

Rencontre avec le cinéaste et metteur en scène de théâtre Claude Schmitz, qui présente en ce moment au Kinoféroce Lucie perd son cheval (on vous en parle ici), projet hybride et onirique.

Claude-Schmitz-Cinevox

Quelles sont les origines du projet?

A la base, je suis metteur en scène de théâtre, cela fait 20 ans que je fais des spectacles, et une dizaine d’années que je réalise des films en parallèle. Souvent, il y a eu des croisements entre des projets, des pièces dans lesquelles j’intégrais des morceaux de film, j’ai aussi fait des films tout à fait autonomes. Ce mélange des genre, ou plutôt ce croisement, c’est quelque chose dont je suis coutumier.

A l’origine, j’ai créé un projet théâtral, Un royaume, pour le Théâtre de Liège. Ce film raconte déjà l’histoire que l’on voit dans le film, propose une rêverie sur le métier d’actrice. On y retrouvait des parties filmées, toutes celles en fait qui se passent en extérieur.

Toute la partie qui se passait dans le théâtre, quand les filles se réveillent, était traitée sur le plateau par les acteurs. C’était avant le Covid, on avait envie de présenter cette situation, un théâtre abandonné, vide, dans lequel s’était passé quelque chose, on ne savait pas exactement quoi. La réalité dans ce cas-là a rattrapé la fiction.

On a monté la pièce, on l’a jouée à Marseille et à Liège, et puis le Covid est arrivé. Tout s’est arrêté, la tournée a été bousculée. Le théâtre de Liège m’a suggéré de faire quelque chose quand même, éventuellement une captation. Mais j’ai proposé de faire plutôt un vrai objet cinématographique. En utilisant réellement la situation du théâtre vide, donc en sortant du plateau, en investissant les coulisses. On est resté dans le Théâtre de Liège vide durant une quinzaine de jours, et on a tourné le film en toute petite équipe. Avec les acteurs et les décors du spectacle, en réinterprétant la dramaturgie pour l’adapter au cinéma.

C’est un objet surement hybride, et un peu étrange, mais qui pour moi est du cinéma, plus du théâtre. Paradoxalement, je pense que le théâtre avait moins de place dans la pièce qu’il n’en a dans le film.

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Judith Williquet et Lucie Debay

La réflexion sur le métier d’acteur interroge aussi sur la notion de travail dans l’art, tout ce qui précède l’oeuvre ou la performance. Ce qui a un écho particulier quand on sait que le film se tourne pendant le confinement, alors que les théâtres sont fermés. Que se passe-t-il quand on ne peut pas performer?

Ce sont des choses qui m’intéresse de manière générale. Ca veut dire quoi, représenter le monde? Quand des acteurs prennent ça en charge, qu’est-ce que ça représente pour eux et pour le public? On prend en charge le destin de personnages, on ne joue pas nécessairement sa propre vie, a priori, et pourtant on y met beaucoup de soi. Il y a aussi la question de la porosité entre la vie et l’art dans le film. Il y a une autre ambiguïté dans le film, avec sa forme un peu onirique. C’est en même temps une réflexion sur le métier d’actrice, et sur ce que cela veut dire de représenter le monde.

La fabrication d’une matière poétique, la représentation est quelque chose qui me passionne, et ça me passionne aussi de la montrer.

Ici, l’errance dans l’imagination de quelqu’un, qui de près ou de loin évoque une structure qui ressemble à celle d’Alice au pays des merveilles, une jeune femme qui se perd dans ses rêveries, et va rencontrer des mondes parfois absurdes, et qui en même temps font profondément sens, et soulèvent des questions essentielles: qu’est-ce que ça veut dire d’être mère, d’être actrice, de partir en laissant son enfant derrière soi? D’endosser d’autres rôles que le sien?

L’idée, c’était de faire le portrait de Lucie, une actrice que je connais très bien, et une amie. Le fait qu’elle ait une fille petite m’intéressait. C’est un moment particulier dans la vie d’une femme, et en particulier d’une actrice. Le statut de la femme est encore particulier au cinéma, dans ce qu’il en montre. Je voulais accompagner Lucie à ce moment-là, être au plus proche de sa réalité, se sont sa grand-mère et sa fille que l’on voit dans le film, et en même temps je voulais la fictionnaliser complètement.

C’est un projet qu’on est déjà en train de continuer d’ailleurs. Il y a deux semaines, on a tourné de nouvelles scènes dans les Cévennes, avec Lucie et sa fille Nao. On a filmé son retour, deux ans plus tard. On observe comment le monde a changé. Quand on part, qu’est-ce qu’on laisse derrière soi, et qu’est-ce qu’on retrouve?

L’idée c’est repartir encore dans deux ans… jusqu’à ce que Nao ait l’âge de porter l’armure. J’espère que c’est un projet qui trouvera sa musique propre, en accompagnant la vie.

Comment mettre en scène la porosité entre le réel et l’imaginaire?

La dramaturgie globale du projet est réfléchie comme une sorte de parcours avec une logique onirique, des ruptures. Au cinéma, le montage permet de passer d’un monde à l’autre, d’un plan à l’autre, c’est sa grande force. C’est très simple en fait d’accepter de passer d’une réalité à une autre, sans être obligé d’expliquer le passage.

Parlez-nous un peu de la pièce dans la pièce, et donc dans le film.

Mes trois actrices jouent la scène d’ouverture du Roi Lear. La pièce parle notamment de la question du patriarcat, avec ce roi qui partage son Royaume entre ses trois filles et qui dans la scène d’ouverture, leur demande de lui faire une déclaration d’amour, en fonction de laquelle il distribuera ses terres. La troisième, Cordelia, jouée par Lucie, refuse d’entrer dans ce jeu-là. C’est aussi une manière d’évoquer la place de la femme et de l’actrice, à travers un millefeuille de narrations.

Qu’en est-il de la figure de la chevaleresse? Son travail est à la fois une quête et un combat?

L’idée, c’était de me pencher sur la figure du chevalier errant, imaginer que l’acteur ou l’actrice est une sorte de chevalier errant, qui avec son bagage, son armure et son cheval, est en quête d’une quête. Ce ne sont pas des mercenaires qui n’ont pas de morale. Le chevalier a un idéal.

A travers cette figure du chevalier errant, je voulais proposer une métaphore sur le métier d’acteur, des personnages qui se promènent d’une château à un autre, engagés sur un projet puis sur un autre, qui essaient toujours de remplir leur mission au mieux, avec un idéal.

Les femmes du Roi Lear sont d’ailleurs trois femmes fortes. Elles sont dans un rapport de domination vis-à-vis du père au début de la pièce, mais vont s’affranchir complètement de cette figure. On ne peut pas réduire la pièce à la question du patriarcat, mais il y a ça aussi. Tout ça constitue le corpus imaginaire qui m’a permis de tisser cette histoire, le Roi Lear, le Chevalier errant, Alice au pays des merveilles…

Il y a les femmes de la vie de Lucie, les chevaleresses, et puis il y a des hommes, qui eux ne semblent pas pitre tout à fait sur le même registre.

Ce que je voulais, c’est que les hommes représentent le monde du travail. C’est une représentation un peu binaire, mais qui interroge les rapports de domination et de pouvoir dans le monde du travail, même si les personnages en question sont loin d’être malveillants, ils sont même plutôt sympathiques. Mais ils ont un côté déconnectés des choses. Ils m’évoquent un peu les personnages burlesques comme le Chapelier fou que l’on peut retrouver chez Alice.

Quels sont vos projets?

J’aimerais pouvoir continuer sur le long terme le projet Lucie, l’ancrer dans le temps. Parallèlement, je prépare mon « vrai » premier long métrage produit, qui devrait se tourner l’été prochain. Un faux film de genre. Tout en reprenant la tournée du Royaume l’année prochaine, et en créant un nouveau spectacle.

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