« Close », les fleurs de l’âme

Avec son deuxième long métrage, Close, Lukas Dhont confirme avec virtuosité son statut de jeune prodige du cinéma belge, sculptant film après film un cinéma du corps et du mouvement, des regards et des sentiments, faisant de la beauté un geste politique

Leo aime Rémi et Rémi aime Leo. Ils s’aiment comme deux enfants qui ont tout partagé, les aventures, les courses échevelées, les fous rires à gorge déployée et ceux tout juste retenus, les conversations chuchotées dans l’alcôve de la nuit, les jeux, les joies et les peines, le bonheur et l’insouciance. 

Leo et Rémi sont amis pour la vie. Leur futur s’écrit au pluriel, leurs espoirs s’entremêlent, ils courent ensemble vers un avenir radieux, nourris de leur force et de leurs talents réunis.

Quand vient la fin de l’été se présente à eux une nouvelle aventure, la grande école, celle où devraient s’ouvrir pour eux tous les possibles. Mais c’est sans compter sur ce qui va s’avérer loin d’être un détail: le pouvoir du groupe. 

Soumise au regard des autres, l’amitié charnelle et fusionnelle de Leo et Rémi se voit teintée d’intentions qui lui étaient pourtant étrangères. Elle devient suspecte. Alors pour s’intégrer, Leo va prendre ses distances, sortir du cercle d’amitié qu’il s’était construit avec Rémi. Rompre cette proximité. 

Cette première étape vers l’âge adulte telle qu’on l’impose aux garçons, qui les somme de s’aliéner du monde des sentiments, qu’ils soient amicaux ou amoureux, va se révéler insupportable pour Rémi. L’ami soudain éconduit, encombrant, ne parvient plus à trouver le regard de son compagnon de toujours, à garder le contact. Alors que Leo, avide de trouver sa place dans le groupe, performe la comédie ultime de la virilité sur ses patins de hockey, Rémi s’éloigne, exclu du boy’s club, jusqu’à disparaitre. 

Cette séparation tragique va éveiller en Leo un tourbillon de sentiments contradictoires et trop grands pour lui, des sentiments mêlés de responsabilité et de culpabilité. Des sentiments qu’il va partager peu à peu avec Sophie, la mère de Rémi, déchirée tout à la fois par son deuil de mère et par la souffrance de Léo, qu’elle considérait comme son fils. 

Le cinéma de Lukas Dhont, et c’était déjà le cas dans Girl, est avant tout un cinéma des corps, des gestes et des regards. Face à la perte, Leo se mure malgré lui dans le silence. Il traverse la tempête en faisant le dos rond, mais c’est son corps qui le rappelle à l’ordre. Soudain il tombe, trébuche, s’effondre sur la glace. Alors que le jeune garçon semble vouloir à tout prix endiguer le flot de tristesse qui s’abat sur lui, il faudra un bras cassé pour le ramener à la réalité de sa douleur. Une douleur qu’il partage avec Sophie, à travers de long et bouleversants silences. Ce qu’ils se disent entre les mots résonne tout autant comme des cris d’impuissance que d’amour.

 

C’est un cinéma aussi qui s’inscrit dans le temps de la nature, la succession des saisons, et se pare de sa beauté. Une beauté qui se révèle politique. L’émotion dans Close est aussi esthétique. En sublimant cette histoire d’amitié entre deux jeunes garçons, en l’éclairant avec grâce et la parant des délicates couleurs des champs de fleurs que cultivent les parents de Leo, le jeune cinéaste offre un écrin à ce récit presque absent de la culture populaire, celui d’une amitié masculine débarrassée des codes de la virilité, faite de complicité, d’attentions et de douceur, de complicité et de sensualité. Une amitié qui à bien des égards, adopte le langage des amitiés féminines. 

Bien sûr pour porter ce tourbillon d’émotions, il fallait des interprètes investis par les sentiments qui les traversent. On se souvient de la révélation que fut Victor Poster dans Girl. Lukas Dhont reproduit ici ce petit miracle avec Eden Dambrine et Gustav De Waele, qui apparaissent pour la première fois à l’écran, et sont terrassants de naturel, d’intensité et de beauté dans les rôles de Leo et Remi. Emilie Dequenne est une fois de plus bouleversante dans ce rôle à la fois lumineux et âpre, celui d’une mère engloutie par le deuil, mais débordante d’amour pour celui qui reste. Elle prouve une fois de plus qu’elle est l’une des actrices majeures du cinéma francophone de ces 20 dernières années, ayant su enrichir sa filmographie de rôles inoubliables après la déflagration Rosetta, et ses performances magnifiques chez Joachim Lafosse notamment (A perdre la raison) ou Lucas Belvaux (Pas son genre et Chez nous).

Servi par une direction artistique magnifique, Close, au-delà de l’océan d’émotions dans lequel il navigue, offre aussi dans sa première partie une autre histoire, un récit émancipateur d’amitié et de tendresse masculines, qui permet d’enrichir nos imaginaires en proposant d’autres images, d’autres possibles, d’autres façons aussi d’être et de se mouvoir dans le monde pour les garçons, et les hommes en devenir. 

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