Je suis Vincent Lannoo et je veux faire mes propres films

Il a commencé sa carrière avec des films très originaux. Strass puis Vampires ont surpris tout le monde. Il reviendra bientôt avec Au nom du fils qui s’annonce sulfureux. Entre-temps, Vincent Lannoo a tourné Little Glory qui ressemble presque à un film classique… presque. Car même s’il a le look and feel d’un film indépendant américain, si la plupart des acteurs sont anglo-saxons, ça reste un film de Vincent Lannoo. Avant tout…

 

Quel est le propos du film, selon vous ?

Le film est à propos de l’amour entre un frère et une soeur. Un des thèmes du film porte sur ce que la crise économique et les problèmes politiques actuels font aux vrais gens comme Shawn et Julie. Un frère et une soeur. Vous voyez ce que je veux dire ?

 

Ça humanise un phénomène global.

Exactement. J’ai toujours raconté des histoires à propos de l’indifférence sociale. C’est le contexte dans lequel ils vivent. Peux-tu ne pas aimer ton frère ou ta sœur quand tu es seul, quand tu es orphelin ? Est-ce que c’est possible ? C’est la question du film. C’est une histoire d’amour.

 

 

Qu’est-ce qui vous a amené à ce projet ?

Je pense que le sujet était très important pour moi, car c’est essentiel de parler de la société. C’est ce que je fais toujours dans mes films.  C’était par ailleurs passionnant pour moi de travailler avec des enfants, avec ce jeune homme et cette petite fille. Autre chose: mes films ont toujours un certain humour noir en eux. Pour la première fois, il n’y avait aucune ironie dans ce film. C’est un film sincère, avec des émotions palpables, un thème immédiat.

 

Pourquoi avoir choisi de réaliser un drame, notamment après Vampires, qui est un faux documentaire satirique ? C’est un changement de ton et de style.

Absolument. Je suis à un moment de ma carrière où je veux faire différents types de films. D’un point de vue plus personnel, cette histoire m’a touché, car elle me rappelait ma propre enfance. On a chacun son histoire. C’était émotionnellement très important pour moi de faire ce film.

 

L’histoire à l’origine était placée en Wallonie, en Belgique. Pourquoi l’avoir adaptée à un contexte américain?

Le producteur, John Engel, et moi voulions ensemble faire un film aux États-Unis. Quand j’ai découvert le scénario (de François Verjans), John et moi pressentions que l’histoire serait parfaite dans un environnement américain, car c’est une histoire de conscience sociale. Les réalisateurs belges sont très bons à raconter ce genre d’histoires. C’est un film sombre, mais je voulais y injecter beaucoup de soleil. Des belles images. Je pense que les États-Unis étaient un meilleur environnement visuel pour le film que j’imaginais. Enfin, ça m’importait de diriger des acteurs en anglais. C’était ma première fois, et ce fut une bonne expérience. C’était une victoire pour moi !

 

 

Que cherchiez-vous quand vous auditionniez des comédiens pour les rôles de Shawn et Julie ?

Pour Julie, c’était très clair. Je voulais une petite fille forte, capable de s’opposer aux adultes dans le film. Pour Shawn, je voulais découvrir un acteur avec une personnalité imposante. Je travaille toujours avec les acteurs. Pour moi, les acteurs font les personnages. C’était important pour moi, non pas de trouver le personnage que j’imagine a priori, mais de trouver le bon acteur pour construire le personnage avec lui. Je pense que Cameron était vraiment parfait, et Astrid Whettnall, qui joue la tante, était idéale. Ainsi que Martin Swabey qui joue le copain anglais… L’histoire de son casting est intéressante : nous avons d’abord auditionné Martin avec l’idée que le personnage serait américain. Quand je l’ai auditionné, c’était clair pour moi qu’il était Matt. Ensuite nous avons travaillé avec une dialect coach américaine, mais c’était impossible pour Martin de faire un accent américain crédible. Nous avons décidé alors de changer le script et de le transformer en immigré anglais, qui était arrivé avec son père. Et je pense que c’était une bonne idée. Voilà une illustration de cette construction du personnage avec l’acteur.

 

Pouvez-nous nous parler un peu de votre expérience de tourner en Amérique du Nord, avec des acteurs anglophones, pour la première fois ?

C’était tout simplement génial. J’ai adoré cette expérience. L’équipe était très professionnelle, et les acteurs locaux aussi. Et le fait de parler anglais… Eh bien, j’étais meilleur à la fin du tournage qu’au début !

 

J’imagine que vous parlez de votre maîtrise de l’anglais, quand vous dites que vous êtes meilleur ?

Je ne veux pas dire seulement la maîtrise de la langue, mais aussi les interactions que j’avais avec les acteurs. Entendre si le ton est bon ou non, si l’acteur est dans son personnage ou non. J’ai besoin de faire confiance aux acteurs. C’est très important pour moi.

 

 

L’histoire est racontée principalement du point de vue de Shawn. L’avez-vous conçue comme un film sur le passage à l’âge adulte, comme l’histoire de Shawn ? Ou plus comme une histoire sur la fraternité, à propos de Shawn et Julie ?

Les deux. À l’origine du scénario, c’était davantage l’histoire de Shawn. Mais finalement, c’est une histoire avec deux personnages principaux. Julie est la clé, pour moi, et pour le public, qui nous permet de ressentir les émotions. Shawn est le catalyseur du conflit et des obstacles à combattre dans le film. Shawn semble être coincé entre l’adolescence et la vie adulte, alors que sa petite sœur mûrit très vite.

Qu’est-ce que le film dit sur l’enfance et le fait de grandir ?

J’ai perdu mon père alors que j’avais neuf ans, à peu près le même âge que Julie. Pour moi, le jour du décès de mon père, je suis devenu presque un adulte. Je n’avais pas le statut d’un adulte, mais j’avais grandi depuis le jour précédent. Je pense que c’est ça l’histoire de Julie. C’est pourquoi j’aime ce personnage. Et j’adore Isabella et son jeu, elle est totalement vraie. J’aime ce personnage, car c’est un peu moi.

Vous ne montrez pas Shawn et Julie pleurer ou souffrir de la mort de leur père. Pouvez-vous nous parler de ce choix ?

Je pense qu’ils sont pétrifiés par ce qui leur arrive. Ce n’est pas seulement la mort de leur père. En un jour, en une heure, en une seconde, ils sont seuls. Ils sont seuls, et ce n’est pas le moment de pleurer. C’est le moment de faire quelque chose, de réagir – et pourtant c’est impossible pour Shawn de réagir à ce qui vient de leur arriver.Je pense qu’ils sont intimidés l’un par l’autre. Ils ne veulent pas montrer leurs émotions à l’autre. Et puis, le père n’est pas le meilleur père que vous pouvez imaginer. Il boit trop, il est parfois violent. Ce n’est pas un mec bien. Je pense que c’est important que les personnages ne pleurent pas. Toute l’évolution des deux personnages est basée sur le début du film : ils ne pleurent pas. L’important c’est quand ils arrivent à exprimer leurs émotions vers la fin du film. Vous soulignez parfaitement l’histoire réelle et le vrai sujet du film. Pour moi, c’est le plus important : combien exprimer vos émotions.

C’est le décès de leur mère qui est le catalyseur : la désintégration de la famille, le détachement de Shawn, l’alcoolisme du père – tout revient à l’absence de la mère. Nous ne connaissons rien d’elle, mais elle a une présence énorme, par le biais de son absence.

Absolument, elle est là. Le scénariste a eu cette excellente idée de montrer Shawn appeler le numéro de portable de sa mère et lui laisser des messages. Mais Julie se souvient à peine de l’enterrement de sa maman. Il y a quelque chose de gênant à propos de la mort… Ils n’en parlent pas. N’oubliez pas qu’ils sont intimidés l’un par l’autre. Ils ne se montrent pas l’un à l’autre.

La mère est bien présente. La première fois qu’ils sont vraiment ensemble c’est le moment où ils se rendent au cimetière. Je pense que la mère est très importante pour Shawn, et pour sa relation avec sa sœur.

 

 

 

Leur environnement montre peu d’espoir. Les seules exceptions à cela semblent être la menuiserie où Shawn travaillait, et l’école de Julie. Ca semble suggérer qu’il y une éventuelle porte de sortie pour ces enfants, à travers le travail et l’éducation. Etait-ce délibéré ? Vous croyez en cela ?

L’école et le travail, quand tu es seul et que tes parents sont décédés, oui, ils peuvent apporter des réponses. Très souvent c’est la seule solution, la seule porte de sortie. Si tu veux survivre, tu dois travailler. C’est particulièrement vrai dans un contexte sans réelle aide sociale, comme les États-Unis. L’école est une issue importante aussi. Il y a une différence entre Shawn, qui travaille de ses mains, et elle. Peut-être pourra-t-elle aller plus loin.

 

La fin est délibérément ambiguë. L’important c’est de voir que Shawn et Julie sont ensemble, mais nous ne savons pas vraiment ce qui va arriver ensuite. Que pensez-vous qu’il va leur arriver ? Est-ce que ça compte ?

Je suis certain que c’est une fin heureuse. Je suis certain qu’il est prêt à s’occuper de sa petite sœur. Il est prêt à travailler pour ça. Je suis sûr qu’elle veut vivre avec lui. La tante la laissera partir. Peut-être que dans le monde réel, ce n’est pas facile. Mais le cinéma, ce n’est pas le monde réel. Les films sont mieux et plus intéressants que la vraie vie (rires).

 

C’est un film américain ou un film belge ?

Pour moi, ni l’un ni l’autre. C’est un film de Vincent Lannoo. Vous regardez le film et vous pouvez penser que c’est un film indie américain. L’essentiel est que c’est un film avec la sensibilité d’un réalisateur. C’est un film indépendant, pas avec les sensibilités d’un studio major, mais avec celle d’un réalisateur, d’un scénariste, d’un producteur. Quand Lars von Trier réalise un film, ce n’est pas un film danois, c’est un film de Lars von Trier. Quand Sofia Coppola fait un film, elle ne réalise pas un film américain, elle réalise son propre film. Je ne prétends pas être Sofia Coppola ou Lars von Trier, mais je suis Vincent Lannoo et je veux faire mes propres films !

 

Avec quoi espérez-vous que le public ressorte à la fin de ce film ?

J’espère que je peux leur donner un peu d’espoir. Je suis sûr qu’ils seront intéressés par ce type d’histoire qui peut arriver dans  leur voisinage. Je pense que c’est pour ça qu’on fait des films, car on pense que les films peuvent donner un effet concret. Je veux faire passer de l’émotion et de l’espoir sur la façon dont on vit aujourd’hui. Ce n’est pas toujours facile. Si j’ai réussi avec celui-ci, c’est très important pour moi. Je fais des films, car je crois en eux.

 

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