John Shank
Urban cowboy

Il a le look d’un dandy rocker, à mi-chemin entre Vincent Liben période Mud Flow et un membre de Ghinzu. Mais John Shank (même le nom claque fort) est réalisateur, un jeune réalisateur qui vient de tourner son premier long métrage, produit par Tarantula et filmé au coeur de la France profonde dans des paysages suffocants de beauté sauvage. Sauvage et dure, comme la vie de son héros qui a décidé de poursuivre l’oeuvre de son père et de maintenir sa ferme à flot. Malgré les conditions, malgré la conjoncture.  L’hiver dernier est un drame, une odyssée humaine qui prend son temps. John, lui, débute sa carrière à toute allure…

 

« Tout commence quand je découvre le cinéma. C’est assez bateau de dire ça, mais ce qui l’est moins c’est que j’ai découvert le cinéma très tard. Lorsque j’entre à l’école pour apprendre ce métier, c’est presque par hasard : je dois avoir vu une quinzaine de films dans ma vie. Pas plus de vingt en tous cas. Mais pour moi c’est une révélation : je suis confronté à un langage qui me fascine, je constate qu’un film est fait avec des plans qu’on monte, grâce auxquels on crée un univers et une histoire de toutes pièces, artificiellement. C’est ça que je veux faire. »

 

Ce genre de déclaration surprend aujourd’hui dans un monde inondé d’images, mais John Shank, 34 ans, a un parcours atypique.

 

 

« Je suis né à Bloomington, la ville de l’université de l’Indiana. Lorsque j’avais 6 mois, mes parents sont retournés dans leur village familial, un petit bled au milieu des champs de maïs et de grandes exploitations agricoles. J’ai vécu là jusqu’à l’âge de six ans, jusqu’à ce nous partions vivre en Belgique. À partir de ce moment, et jusqu’à l’âge de 18 ans, j’ai fait des allers-retours vers les États-Unis, parfois pour six mois, parfois pour un an. Quand je vivais en Belgique, j’habitais également dans un petit village agricole et d’élevage – mais ni mes parents, ni mes grands-parents ne sont agriculteurs. En revanche, j’ai baigné dans cet environnement-là. J’ai clairement un sentiment très fort d’appartenance à cela, une terre et une communauté, dont je suis à la fois totalement issu et extrait. Les attaches que je conserve avec les États-Unis sont familiales et culturelles. Toute ma famille est là-bas. Mes racines sont là-bas, mon existence est ici, ça crée forcément une forme de déchirement. »

 

 

Les racines, voilà une valeur primordiale pour John, la base de son premier film.

« Ce long métrage est la continuation d’un travail que j’ai commencé avec mes courts : je veux explorer le plus simplement possible le rapport de l’homme au monde dans lequel il vit. Il se fait qu’aujourd’hui je suis citadin. Ce rapport à la nature, à la terre, au travail avec la terre me manque. J’ai eu envie de filmer ce monde-là parce que je l’aime, mais aussi parce que là, deviennent visibles des choses qui ne le sont pas forcément en ville. Beaucoup de gens me parlent de L’hiver Dernier comme d’un regard sur l’agonie du monde rural. Mais pour moi le monde rural n’est pas en marge. Si cet univers-là meurt, c’est que le monde citadin est également en train de s’éteindre. Cela dit, pour moi, le film raconte plutôt la difficulté d’un jeune homme à trouver un endroit où il est chez lui à la maison et où il peut exprimer son amour et son attachement pour le monde. C’est un film sur l’enracinement, sur une connexion à la terre qui est nécessaire. Ce n’est pas spécifique au monde rural, sauf qu’en ville on ne le sent plus ce lien-là. D’une certaine façon ce monde-là est en première loge des évolutions.

 

Mes parents m’ont transmis, à travers des livres ou des peintures qu’ils me faisaient voir, des choses qui étaient toujours liées à la terre et à l’espace, au vaste monde. Ou peut-être était-ce moi qui étais sensible à ce rapport de l’homme à la terre. Le mythe fondateur américain doit certainement jouer un rôle aussi : une terre, un homme et une possibilité de développer quelque chose, avec parfois le conflit comme corollaire. Je ne le revendique pas, je constate simplement que c’est d’abord le lien à la terre qui est fondateur, qui appelle à un mouvement vers l’autre. Et ça, je pense que c’est profondément américain, c’est ce qui me touchait quand j’ai lu pour la première fois John Steinbeck ou William Faulkner, quand j’ai vu pour la première fois des oeuvres de John Ford ou d’Elia Kazan. Il y a un sentiment d’appartenance à un monde beaucoup plus vaste et c’est ce sentiment, ce lien que j’avais envie d’aller filmer. »

 

 

John Shank c’est aussi une vraie radicalité. Une envie de cinéma comme œuvre d’art. L’idée même du film produit de consommation lui fait horreur…

 

« Le rythme du film est le rythme du monde que je scrute. Je me suis adapté. Après ça, c’est un premier long métrage. Il y a des maladresses, mais c’est normal. Je cherche mon film, je ne lui impose rien. J’essaie de transcrire des émotions et une réalité. De les capter. Ce qui est certain c’est que ce film, je ne l’ai jamais conçu en me disant « c’est un produit ». Ce n’en est pas un. Je suis resté sur cette ligne en me disant : voyons si on peut trouver d’autres personnes, des collaborateurs, des financiers qui ont envie de partager cette option avec moi. On y arrive? Tant mieux. Alors, faisons le film.

 

Sa forme et sa radicalité viennent du cinéma qui m’émeut par opposition au cinéma que je n’aime pas et qui ne m’inspire pas. Ma réflexion est simple: je vois aujourd’hui beaucoup de films qui ont un certain nombre de traits communs. La position dans laquelle ils me mettent en tant que spectateur ne me plaît pas. Elle me met mal à l’aise, ne m’intéresse pas. Ça ne me convient pas. Moi, j’ai plutôt envie de partager avec le spectateur à un autre degré. Je reconnais volontiers que ça mène mon travail à un endroit dans l’industrie contemporaine qui est extrêmement fragile. Je suis conscient qu’il est difficile de faire exister ce genre de film. En même temps, pour moi, le rapport aux spectateurs à ce niveau-là me semble plus important que le fait d’être « placé » sur le marché.

Il y a sans doute un parallèle entre ma façon d’aborder le film et l’entêtement de mon personnage. Lui aussi veut préserver un rapport au monde qui lui est fondamental. C’est la même chose pour moi: j’ai envie de continuer à penser le cinéma comme un langage, j’ai envie de continuer à penser que le spectateur est fort et qu’il est prêt à découvrir et à vivre des expériences qui ne sont pas forcément confortables ou balisées. »

 

 

 » La question de la place de ce spectateur est primordiale pour moi: que vais-je lui donner? Que vais-je lui demander? Comment vais-je l’amener vers des images et un rythme? Tout cela ce sont des questions que je me pose sans cesse. Parfois j’y arrive, parfois pas. Quand on fait un film qui est en marge des normes et du langage dominants, l’idée n’est pas que le spectateur passe un moment incroyable dans la salle. Mais lorsqu’on consacre 1h40 à scruter attentivement le monde d’ailleurs, peut-être qu’en sortant du cinéma, on change aussi un tout petit peu sa façon de regarder la réalité. Malheureusement, le cinéma est une industrie et un marché, donc les films sont considérés comme des produits. Enfin, je dis malheureusement, mais c’est surtout une réalité, c’est tout. Par chance, à l’heure actuelle, il reste encore une petite place pour ce genre de film qui est somme toute très simple: c’est juste du temps et de l’espace avec un personnage qui lutte pour préserver son univers avec l’expression de l’amour qu’il lui. Après, il faut se laisser aller, même si ce n’est pas toujours confortable.

Oui, j’ai parfois l’impression de faire acte de résistance, mais c’est très bien ainsi… »

 

 

[Toutes les photos par A.P.]

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