« Jumbo », l’amour fantastique

Photo: Caroline Fauvet

Avec Jumbo, son premier long métrage, Zoé Wittock livre une histoire d’amour fantastique à bien des égards, conte de fées moderne déplaçant le curseur de la normalité, et repensant en passant l’éducation sentimentale des jeunes filles. 

Jeanne est une jeune fille renfermée et solitaire. Elle vit dans un monde à elle, peuplé des objets électriques qu’elle invente et qui illuminent sa chambre, et son existence. Elle vit depuis toujours à la lisière d’une forêt, seule avec sa mère, et sa seule sociabilisation, semble-t-il, passe par son emploi dans le parc d’attraction local, où elle nettoie les manèges quand le parc est fermé. Une nuit, elle va faire une rencontre qui va bouleverser sa vie…

C’est que Jumbo a tout pour lui plaire. Grand, bienveillant, accueillant. Jumbo brille de mille feux, et plus encore. Jumbo, la nouvelle attraction du parc, le manège parmi les manèges. Jeanne est amoureuse. Mais aux yeux du monde, elle est objectophile.

Jumbo-Zoe-Wittock

Et le monde de Jeanne (Noémie Merlant), c’est d’abord ses collègues, et sa mère (Emmanuelle Bercot). Si celle-ci ne met pas de mot sur la passion de Jeanne, elle l’observe avec inquiétude, et même avec animosité. Malgré son parcours personnel et sa propre liberté sexuelle et sentimentale, elle ne peut accepter que sa fille sorte à ce point de la norme, craignant tout autant le regard des autres, que ce qu’elle pense être sa propre responsabilité, sa faillite en tant que mère.

Derrière la relation qui unit Jeanne et Jumbo, c’est aussi une histoire d’amour mère/fille qui se joue, de celles bouleversées par l’irruption d’un premier amour, force émancipatrice qui vient bouleverser le fragile équilibre familial.

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Jeanne vit son histoire d’amour avec tout l’absolu des premières fois, et la réalisatrice incite les spectateurs à laisser leur scepticisme au vestiaire avant d’entrer dans le film. « Inspiré d’une histoire vraie », précise d’emblée le générique. Cette histoire, Jeanne la vit au premier degré, et nous sommes invités à le faire avec elle. Pour nous y aider, Zoé Wittock fait de Jumbo un vrai personnage de fiction, sans pour autant céder à la tentation de l’anthropomorphisme. S’il ne parle pas, Jumbo vit, frémit à l’écran, il répond à Jeanne, l’écoute. C’est ainsi qu’on le voit, épousant le point de vue forcément subjectif de la grande amoureuse.

Car ce sont des sentiments que développe Jeanne (« Il me rend heureuse »), mais aussi des sensations. Le récit prend un tour initiatique quand la tension érotique s’affirme. Jeanne découvre Jumbo autant qu’elle se découvre. Le travail sur l’incarnation charnelle du manège, à travers le son et la lumière bien sûr, mais aussi au détour d’une superbe scène fantasmagorique où tous les sens de Jeanne sont en éveil, donne spectaculairement corps au personnage de Jumbo. Il fait ainsi face, majestueux, à l’incroyable Noémie Merlant, aussi fragile que puissante, dont l’interprétation force l’identification.

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A aucun moment on ne juge Jeanne, d’ailleurs il n’est pas question d’essayer d’expliquer ou de comprendre sa passion, juste de l’accepter. L’atmosphère surréaliste qui plane sur son microcosme invite à se laisser aller à cette autre réalité, offrant au passage une vision alternative de l’amour et de la sexualité.

Visuellement très pop, nourri de couleurs saturées, Jumbo s’apparente à un conte, un conte de fées moderne, une comédie romantique décalée quand le regard du monde extérieur sur cette histoire d’amour force à prendre du recul. C’est d’ailleurs dans ces moments-là que surgit l’humour, par touches dispersées qui rappelle le caractère hors norme de cet amour dès qu’il est confronté à la société, tout en oeuvrant pour un touchant plaidoyer queer. Jeanne et Jumbo déplacent les curseurs, grand bien nous fasse.

Dévoilé en première mondiale à Sundance en janvier, puis en avant-première cette semaine à Berlin, le film sort le 18 mars prochain en Belgique.

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