La représentation des femmes dans les films belges: focus sur 2018

A l’occasion du Bilan du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel qui avait lieu hier au cinéma Palace, Sarah Sépulchre, Professeure à l’UCLouvain était invitée à dresser un panorama de la représentation des femmes dans les longs métrages belges sortis en 2018.

Si le Centre du Cinéma communique depuis plusieurs années sur le pourcentage d’autrices, réalisatrices ou productrices représentées au sein des instances de décision, et dans le nombre de dossiers soumis ou sélectionnés, il a choisi cette année de braquer les projecteurs sur la représentation à l’écran des femmes dans les films belges. L’idée n’étant pas de construire un point de vue définitif, mais plutôt de prendre un peu de recul, et adopter une vision globale des choses. Sachant qu’environ un tiers des projets soutenus sont réalisés par des femmes – moins quand on s’en tient aux longs métrages de fiction – qu’en est-il de la présence et la caractérisation des personnages féminins?

Nous revenons donc ici sur cette intervention, « L’image de la femme dans les fictions et documentaires belges francophones en 2018″, qui s’appuie sur 28 longs métrages de fiction et documentaires.

Jeanne Brunfaut, Directrice du Centre du Cinéma, et Sarah Sépulchre, Professeure à l’UCLouvain

Dans la fiction tout d’abord. Parmi les 9 films du corpus, 4 présentaient des personnages féminins en charge du récit ou de l’action, ce qui est finalement un plutôt bon résultat. Ainsi Bitter Flowers d’Olivier Meys, C’est tout pour moi de Nawell Madani et Ludovic Colbeau-Justin, Carnivores de Jérémie et Yannick Renier et Laissez Bronzer les cadavres d’Hélène Cattet et Bruno Forzani sont menés par des personnages féminins. On remarquera que deux de ces films sont co-réalisés par des femmes. 

Deux films s’imposent par leur univers très féminins; Dans Bitter Flowers, on trouve des femmes traditionnellement victimes, les prostituées chinoises à Paris, mais qui reprennent le pouvoir, notamment à force de solidarité féminine. Si ces femmes sont pour beaucoup d’entre elles fortes, et en charge de leurs destins, on remarquera néanmoins que l’on ne représente pas dans le film les oppresseurs masculins que sont les proxénètes ou les clients violents. Dans Carnivores, on assiste au face-à-face mortifère entre deux soeurs. Si elles sont au coeur du récit, le portrait n’est pas très positif. 

 

Dans C’est tout pour moi, écrit par Nawell Madani, le personnage principal féminin est évidemment l’héroïne principale et unique du récit, et vit une trajectoire ascendante qui la fortifie. Mais le cas le film le plus surprenant est surement Laissez bronzer les cadavres, qui met en scène un personnage de femme artiste forte et libérée, active sexuellement et qui pour autant n’est pas punie narrativement parlant, fait rare. Un personnage « empouvoirée », comme le dit Sarah Sépulchre, empruntant et francisant au vocabulaire féministe anglo-saxon le terme très parlant et fondamental d’empowerment.

 

La professeure constate également qu’il y avait beaucoup de pères dans les films cette année. C’est d’autant plus intéressant que l’on ne peut pas s’interroger sur les femmes sans s’interroger sur les hommes, donc interroger les paternités, voire les masculinités. Drôle de père d’Amélie Van Elmbt et Nos batailles de Guillaume Senez notamment nous montrent des pères qui se connectent à leurs enfants, et nous montrent de nouvelles masculinités. On retrouve également des pères qui cherchent à renouer avec leurs enfants dans Mon Ket et La Part Sauvage. On constate cependant que dans la plupart de ces films, pour pouvoir interroger la figure du père, il importe que la figure de la mère soit absente, ou presque. 

Interpellante, cette figure du père un peu largué qui cherche à se reconstruire, et que l’on retrouve également au coeur de C’est ça l’amour de Claire Burger, à l’affiche duquel brille Bouli Lanners, et qui sort aujourd’hui. Comme Drôle de père, un film de femme, sur la figure du père. Il convient également de noter que Sarah Sépulchre n’établit pas de lien direct entre le genre de l’artiste, et la force du personnage principal féminin – ou masculin d’ailleurs.

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Sarah Sepulchre s’est également penchée sur une dizaine de documentaires. Manu et Des cowboys et des Indiens, des portraits de cinéastes, évoluent dans des univers très masculins, de même qu’Ashcan, qui parle de la prison où étaient enfermés les dignitaires nazis. Par la force des choses, ou plutôt des sujets, les protagonistes sont très masculins, mais on remarque néanmoins que les experts interrogés le sont aussi.

Mitra de Jorge Leon se situe à l’opposé du spectre. Film sur la folie et la psychiatrie, il multiplie les personnages féminins, à tous les niveaux, narratrices, témoins, performeuses.

Sarah Sepulchre a également relevé deux documentaires mettant en scène des personnages de femmes particulièrement fortes et en charge de leur destin, Anne Gruwez, la juge de Ni juge ni soumise, mais aussi Zineb El Rhazoui, la journaliste survivante de l’attentat de Charlie Hedbo en « liberté surveillée » malgré elle dans Rien n’est pardonné de Vincent Coen et Guillaume Vendenberghe. Un récit d’autant plus singulier qu’il met en scène une femme de culture musulmane, à la fois sujet, actant principal du film, et narratrice du film. Dernier film très féminin relevé dans le corpus, L’Or Vert de Sergio Ghizzardi, documentaire sur le biodiesel. Le personnage qui ressort du film, presque contre toute attente, c’est l’euro-députée Corinne Lepage, la chevalière blanche, figure de l’action et du combat.

Notons enfin que l’on retrouve des univers plus mixtes dans Au temps où les Arabes dansaient de Jawad Rhalib, où les femmes artistes sont très présentes, Rêver sous le capitalisme de Sophie Bruneau, où les témoins femmes ne sont pas réduites à des sphères professionnelles envisagées comme typiquement féminines, et dans une autre mesure, car ils offrent une vision plus traditionnelle de la répartition des genres, Ma’Hoi Nui d’Annick Ghizelings et La Grand Messe de Méryl Fortunat-Rossi et Valéry Rosier.

Mais à quoi peut bien servir de disséquer ainsi des films, qui par définition sont tous le fruit de l’expression intime et personnelle de créatrices et créateurs? Ne risque-t-on pas d’appauvrir le cinéma à vouloir l’analyser selon des critères de genre? N’est-ce pas un frein à la création de vouloir débusquer les défauts de parité dans les fictions? Tous les films doivent-ils forcément réussir le test de Bechdel (d’après l’autrice de romans graphiques Allison Bechdel) (spoiler: c’est mieux)?

L’idée de cette étude n’est évidemment pas d’imposer une grille de lecture qui formaterait les récits, mais plutôt de prendre de temps en temps une position de recul face aux scénarios, pour s’apercevoir que souvent, les femmes disparaissent des récits, et surtout, que cette grille de lecture permette d’enrichir les univers fictionnels, et non de les aseptiser. Il n’est pas question de brider les imaginaires par le filtre de la parité, mais plutôt de les libérer. Gageons cependant que la diversification en marche des profils des auteurs et autrices soutenus notamment par le Centre du Cinéma devrait permettre d’ouvrir le champ des possibles des fictions et documentaires à venir. 

 

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