Le Monde nous appartient
Une tragédie moderne

C’est l’histoire de deux gars qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Ils sont jeunes, ils ont la vie devant eux : le monde leur appartient.

 

Julien (Ymanol Perset) est footballeur dans un club bruxellois. Il adore glander et rêve de buts capitaux, de gloire, d’argent. De femmes faciles et désirables. Il attend que son coach (Albert Cartier) lui donne une chance de briller. Une seule. Qu’il le titularise, mais l’entraîneur ne semble pas compter sur lui. Il vit chez son père (Olivier Gourmet), un sapeur-pompier un peu paumé depuis la mort de son épouse. Un homme courageux, mais qui vit en marge du monde, qui désespère de voir son fils réussir un jour.

 

L’autre, Pouga, est une petite frappe. Doté d’un caractère très borderline, il (Vincent Rottiers) n’arrive pas à garder un boulot. Il ne croise plus son père, un malfrat lui aussi, mais jouissant d’une certaine réputation. Craint et respecté. Pourrait-il marcher dans ses traces? En attendant, il fréquente le Forem. Moins pour trouver un job que pour rencontrer l’employée (Dinara Droukarova) qui gère son dossier, une femme un peu plus âgée que lui, mais qui ne le laisse pas indifférent.

Lorsque Zoltan (Reda Kateb) revient en ville, son existence bascule. Il voit là l’opportunité d’entrer de plain-pied dans l’univers du banditisme. Au même moment, Julien profite de la blessure d’un coéquipier pour enfin commencer un match. La vie démarre pour ces deux hommes. Mais elle va s’arrêter soudainement pour l’un des deux.

 

Voilà pour le pitch, important certes, mais pas capital. Le Monde nous appartient ne repose pas uniquement sur sa narration, pourtant fluide. Le deuxième long métrage de Stephan Streker est davantage une expérience sensorielle, un exercice esthétique stylisé d’une maîtrise sidérante qui provoque chez le spectateur une profonde fascination à la limite de l’hypnose.

 

En fait, on serait tenté de dire que Le Monde nous appartient fait partie de cette nouvelle race de films belges qui n’ont pas grand-chose de belge dans son ADN, si ce n’est ici la nationalité de son réalisateur, d’un de ses acteurs principaux, de ses producteurs, du compositeur et d’une partie de l’équipe technique. D’accord, c’est déjà beaucoup.

 

Mais, même si les autochtones attentifs identifieront facilement des quartiers de Bruxelles (sublimement filmés), les références géographiques sont plutôt abstraites. En outre, Le Monde nous appartient n’hésite pas à mythifier ses personnages qui deviennent des figures emblématiques au-delà de leur simple personnalité.  La mise en scène d’une précision et d’une inventivité diabolique toujours à la recherche de l’angle ou du cadre époustouflants renforce encore la dimension symbolique du film.

 

Au-delà de cette dimension purement cinématographique, on est fasciné par le récit lui-même, étrangement ligoté au destin des deux (anti)héros. Et si le film relate finalement un simple fait divers qui en évoque d’autres, il évite toutes références explicites et tout manichéisme : on s’attache autant à un personnage qu’à l’autre, chacun avec ses faiblesses, ses flamboyances, son courage et ses bassesses.

Pas question de conclure un texte sur Le Monde nous appartient sans parler de la bande-son, écrite et interprétée par Ozark Henry. Associé au projet depuis ses balbutiements, la pop star flamande a réussi à habiter l’œuvre, à la hanter littéralement. Sa musique est un souffle qui porte le film, qui lui confère une partie de sa magie et de sa puissance. Et quand Stephan Streker marque une pause autour d’un morceau fort du compositeur (une tendance typiquement eighties qui revient très nettement à la mode, cf Tango Libre, par exemple) il déjoue le processus avec une ironie formidable(ment) gonflée. On n’en dit pas plus : vous verrez ça vous-mêmes.

 

Face à un cinéma du réel basé sur les faits et gestes quotidiens dont raffole une nouvelle vague de réalisateurs belges (Mobile Home, Hors les Murs), Le Monde nous appartient fait figure d’OVNI. Plus proche du cinéma flamand, voire du cinéma scandinave, il ose tout, jusqu’à l’inimaginable. Avec un formidable brio.

Pas une œuvre consensuelle, non. Mais un grand film, ça oui.

 

[Les trois photos par Alice Pacaud]

 

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