Melody en bord de mères

Deuxième long métrage de fiction de Bernard Bellefroid, Melody a fait ses débuts au festival des films du monde Montréal où il se vit décerner un double prix d’interprétation pour ses deux actrices: la Belge Lucy Debay et l’Australienne Rachael Blake.

La deuxième étape de son parcours le menait au FIFF. Un évènement que Bernard, originaire de Namur, ne peut naturellement envisager sans un petit pincement au cœur.

 

La Régate (déjà produit par Artemis) y avait gagné le prix du public et celui du jury junior. Melody a fait aussi bien en décrochant le prix Cinevox remis au meilleur long métrage belge de fiction, toutes sections confondues, par un jury de cinéphiles non professionnels et un deuxième prix du public. Une confirmation. Une belle surprise, aussi…

 

 

Sur la route de Melody se dressaient cette année de nombreux films fort attendus. Et puis, le cinéaste a beau être namurois, il croisait le chemin de deux autres autochtones: Vania Leturcq qui présentait l’année prochaine et Xavier Diskeuve qui avec Jacques a vu avait réussi à remplir plusieurs salles et partait d’autant plus favori des bookmakers qu’une comédie populaire n’aurait dû faire qu’une bouchée d’un drame intimiste et sensible, sur un sujet peu traité jusqu’ici.

L’histoire (et les spectateurs) ont pourtant fait mentir rumeurs et pronostics et ce prix, plus encore sans doute que le prix Cinevox, est une formidable consécration pour un réalisateur qui, dans la vie comme à l’écran, séduit sans jamais chercher à le faire. Ce qui n’est pas le moindre de ses talents.

 

Melody est une jeune coiffeuse à domicile qui a choisi de vivre dans la rue plutôt que de continuer à supporter une vie de couple qui ne lui convenait pas. On déduit cet échec qui ne nous est jamais expliqué quand on la voit s’éclipser, sac au dos, au petit matin, pleine d’une détermination qui la maintient en vie, qui la pousse à avancer. Son objectif est clair : elle veut acheter un petit salon de coiffure. Mais l’argent qu’elle met précieusement de côté ne peut pas lui suffire pour un pareil investissement.  Pour décrocher son prêt, elle doit présenter des garanties et une mise de départ importante. Pour les obtenir, elle est prête à tout.

Même à porter l’enfant d’une autre.

 

 

Elle s’inscrit sur un site internet, ment en s’inventant une fille et rencontre une riche anglaise qui rêve de descendance, mais ne peut plus avoir de bébé.

Entre ces femmes qui évoluent dans des univers radicalement différents, il existe a priori peu d’atomes crochus. Mais lorsque leur aventure commune débute, dans une clinique ukrainienne où le principe des mères porteuses est accepté, elles n’auront plus d’autres choix que de faire un bout de chemin ensemble. Jusqu’à la naissance du bébé. Un chemin chaotique, éreintant dont il est vite évident qu’elles ne sortiront pas indemnes.

 

 

Commence alors un huis clos émotionnel entre la quadra responsable, apparemment sûre d’elle, et la jeune sauvageonne. Une confrontation qui s’article sur une permanente recherche d’équilibre. Au fil des jours, le curseur se déplace d’une à l’autre selon un incessant rapport de forces qui s’articule autour du sentiment de maternité.

Pendant toute la durée de son film Bernard Bellefroid s’interroge, questionne ses protagonistes et le public lui-même: qu’est-ce que c’est qu’être mère? Comment passer du statut de femme à celui de mère quand on ne porte pas son enfant? Et, a contrario, comment ne pas se sentir mère lorsqu’une  vie pousse en soi?

 

 

À cette trame dramatique, le réalisateur (qui est aussi coscénariste de son film qu’il a … porté pendant des années) superpose une autre dimension quand il confronte soudain la vie et la mort, les pulsions de vie et les pulsions de mort, la rage de vivre et la peur de mourir.

Le point de renversement se situe à l’heure juste, au cœur d’une séquence miroir d’une formidable intensité et d’une incroyable audace que nous vous laissons le soin de découvrir.

Car en révéler davantage serait trop en dire, même si l’envie nous tenaille.

 

Fils spirituel des frères Dardenne, Bernard Bellefroid perpétue cette image le temps d’une entrée en matière qui évoque dans sa thématique, sa sécheresse et sa cinématographie, Rosetta et le plus récent Deux jours une nuit (qu’il n’avait pas vu avant de finir son film).

Mais, rapidement, il s’éloigne de ce point d’ancrage. Il refuse, par exemple, la confrontation sociale pourtant tentante pour ne se consacrer qu’à la relation intime des deux femmes qui le fascinent.

 

Le style de Melody, s’il fallait absolument le situer en référence à d’autres (et tous les critiques adorent ça, même nous) serait plutôt à rapprocher du cinéma anglais : un cinéma qui ne s’embarrasse pas de chichis ni de circonvolutions, qui va droit à l’essentiel, qui cerne les gens dans leur intimité, leurs éclats et leurs faiblesses, leurs mensonges et leurs trahisons, leurs joies et leurs désespoirs, sans leur chercher d’excuse, mais sans les juger. Jamais.

 

Parvenir aussi loin dans l’analyse de Melody sans encore avoir vraiment évoqué la prestation des comédiennes peut paraître étonnant. Voire injuste. Mais la splendeur de leur interprétation découle de tout ce que nous avons expliqué jusqu’ici.
Oui, Lucie Debay et Rachael Blake sont époustouflantes parce que ce sont deux actrices d’exception, mais également parce que leur personnage a été ciselé avec une formidable maîtrise par Bernard Bellefroid.

 

 

Lorsqu’il s’est agi de mettre un nom et un visage sur ses personnages, Bernard n’a pas longtemps douté. Surtout dans le chef de Lucie Debay qui a toujours été son premier choix. Il la voulait absolument, cette jeune comédienne repérée au théâtre qui n’avait tourné que dans quelques courts métrages et un long filmé à l’arrache. Lucie, Bernard nous en a parlé des étoiles plein les yeux, pendant l’écriture de son scénario et force est de constater aujourd’hui qu’il a été prodigieusement inspiré en en faisant sa Melody.

 

 

D’une beauté diaphane, à la fois fragile et tenace, prête à se briser en mille morceaux avant de se lever pour renverser une montagne, elle nous émeut au plus profond, sans artifices, toujours naturelle jusqu’au bout des cils, bouleversante.

 

Son moindre mérite n’est pas d’exister brillamment face à une comédienne aussi confirmée et professionnelle que Rachael Blake qui hérite en outre du rôle le plus spectaculaire (vous verrez). L’alchimie qui s’installe entre les deux femmes, faite d’un savant dosage d’amour/haine, de fascination, de déception, d’attirance et de répulsion parfois, porte le film jusqu’à son étourdissant final.

Toujours sur la corde raide. Toujours en équilibre. Constamment juste. Simplement bouleversant.

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