Pauline Brisy entre dans l’histoire du cinéma

C’est une grosse boîte noire, posée sur la place de la ville. Un cube mystérieux. En réalité deux semi-remorques, côte à côte. Quelques escaliers. Une porte métallique…

Une fois à l’intérieur, vous êtes dans un autre monde. Magique. Vous voilà dans un cinéma d’antan, avec ses sièges pour cinéphiles assidus, quelques fauteuils pour les amoureux et, derrière, les tables où on peut suivre le spectacle en dégustant une petite mousse.
Le confort est sommaire, mais l’ambiance est chaleureuse.
Dès l’accueil, l’atmosphère est conviviale, proche de celle des cirques qui déambulaient dans le pays au début du siècle dernier. Ici, les comédiens vous saluent, vous donnent vos tickets, vous installent, servent au bar, débarrassent les tables.
Et jouent bien sûr.

 

[Toutes les photos qui illustrent cet article sont de Christophe Gillot.
On les retrouve sur
le site officiel de La Boite à Images]


Dans cette boîte à images, ils vous racontent durant 2h15 l’histoire du cinéma telle qu’a pu la résumer, avec talent et un certain panache, un trio composé de Cédric Monnoye qui a imaginé le concept de boîte qui devient salle de spectacle et est également le producteur, François De Carpentries qui a écrit le texte (brillant !) et a mis les acteurs en scène et Karine Van Hercke, scénographe, costumière et décoratrice.

 

 

L’amphitryon de la soirée, sa très précieuse caution artistique autant que son attrait pour le public (nombreux et disparate à Charleroi), est Jean-Pierre Castaldi. Le comédien français interprète ici un projectionniste fou amoureux du 7e art qui en connaît un bout sur ses origines et cultive une vraie passion pour les personnalités qui l’ont nourri.

Dans ce rôle exigeant, l’acteur français est épatant. Chaleureux, truculent, il tient la scène pendant 3 épisodes de trois quarts d’heure, sans temps faible, nous abreuvant de faits historiques, de détails érudits et d’anecdotes croustillantes ou glaçantes sans que notre attention se relâche une seule seconde.

Il faut dire que le texte auquel il donne vie est brillant, jamais assommant malgré sa densité, toujours distrayant. Une gageure !

 

 

Les choix sont assumés.

Comme il était impossible de prétendre à l’exhaustivité, l’auteur, après une intro fouillée sur la naissance du 7e art, a travaillé par thèmes, par réalisateurs, parle des grands noms du cinéma belge au détour d’une allusion au Festival de Cannes et n’oublie pas non plus d’évoquer les métiers du cinéma, du plus évident au moins populaire.
La densité du propos surprend.

 

Une performance donc, physique et intellectuelle ; épuisante, on s’en doute. Mais malgré ses 71 ans, Jean-Pierre Castaldi tient la grande forme.

 

Sur scène et aux alentours, à ses côtés, on découvre une équipe belge.

 

 

Discrète et souriante, afférée derrière le bar, Natacha Milican est en fait la directrice de production, celle sans qui (de l’aveu des autres), le spectacle ne tournerait pas rond. Aurélie Remy, la régisseuse qui a monté tous les superbes extraits diffusés en continu sur le grand écran est la voix off/in vivante du show (chouette idée). Pendant le spectacle, en plus de son rôle, elle gère également le son, la lumière et la vidéo. Pas besoin de chercher un régisseur en coulisses : il n’y en a pas d’autres.

Christophe Delire est le pitre de service, le souffre-douleur de Jean-Pierre Castaldi, drôle et énergique. Il se déguise, entre et sort comme une tornade, il met du rythme, donne du peps et apporte à l’ensemble un second degré bienvenu.

 

 

La quatrième comédienne est une vieille connaissance pour les fidèles de Cinevox : la pétillante Pauline Brisy fut une des jeunes vedettes d’un long métrage franco-belge fort populaire, Le Grimoire d’Arkandias, et de deux courts métrages attrayants : Babysitting story de Vincent Smitz et Premiers pas de Grégory Lecocq. On l’a ensuite revue avec plaisir dans deux très bons films de télé, Jaune Iris avec Natacha Régnier et Tu es mon fils de Didier Le Pêcheur.

Bref, une jeune actrice talentueuse, pleine d’avenir qu’on aimerait redécouvrir très vite sur les écrans. Bientôt ?

 

« Je reçois beaucoup de propositions », soupire Pauline encore sous le coup de sa prestation qui vient tout juste de s’achever. « Je participe à de nombreux castings, je franchis les étapes, parfois, je suis prise pour le rôle, mais depuis quelque temps, il se passe toujours quelque chose qui inverse la tendance en bout de course. J’aurais dû être dans plusieurs projets, parce que j’étais choisie par le réalisateur, mais les chaînes et productions ont imposé quelqu’un d’autre. À chaque fois, les raisons invoquées sont identiques. Je serais trop sage, les rôles ne correspondraient pas à l’image que les gens se font de Pauline Brisy. »

 

 

Là, on la sent bouillir. Et la gentille Pauline de s’effacer derrière le masque assombri d’une jeune femme fort agacée.
« Cet argument me fait hurler. Si je dois jouer Pauline Brisy toute ma vie, j’arrête tout de suite. Je suis une comédienne, mon job est de me glisser dans des personnages qui peuvent être à des années-lumière de ce que je suis dans la vie réelle. Plus le caractère que je dois interpréter est loin de moi, plus je suis heureuse. Que des producteurs ou des chaînes de télévision ne comprennent pas cela alors que les réalisateurs m’ont choisie, ça m’énerve très fort.

De plus en plus, ces derniers temps beaucoup ont aussi eu recours au casting sauvage pour trouver « les personnages » de leur film, des gens qui ressemblent dans la vie au rôle qu’ils sont censés jouer. Des castings auxquels j’ai participé se résument à des interviews pour savoir si, quand j’étais petite, j’ai vécu les mêmes choses que le personnage que je suis censée incarner. Mais on va où, là ? Quel manque d’imagination… Et quelle claque aux comédiens professionnels. Cette confusion est ridicule : un bon acteur peut tout jouer. Et moi, je veux tout jouer ! »

 

Il n’y a pas à dire : quand on la pousse un peu, la souriante demoiselle, polie, affable, parfaite sous tout rapport peut aussi mordre. Et son discours est sensé. Cette confusion entre un rôle et la personnalité d’un acteur dans la vraie vie, déjà évoquée sur Cinevox par Fabrice Adde, mais dans le sens inverse de Pauline, pose question. Et puis il y a également les sacro-saintes obligations de coproductions qui viennent ajouter à l’imbroglio.

 

« Parfois, tu passes toutes les étapes d’un casting, mais au bout du compte, c’est une comédienne française qui débarque parce que c’est une exigence de visibilité imposée par le coproducteur français. J’aimerais tourner ici en Belgique, car je suis Belge et très attachée à mon pays, mais les seules propositions attrayantes que je reçois sont françaises.»

 

 

De fait. Que peut-on reprocher à Pauline ? D’être bien élevée, gentille, pétillante, sympa ? D’être très jolie, selon les critères esthétiques très stricts des années 50, 60 ou 70 ? Car oui, Pauline pourrait très bien sortir d’une comédie américaine de Billy Wilder ou être la fille cachée de Romy Schneider.
Mais si sa fraîcheur, son énergie et sa gentillesse deviennent un handicap, c’est à pleurer.
A contrario, ce n’est donc pas un hasard si elle a été retenue pour incarner dans La Boîte à images, une jeune actrice, fan de Marilyn, de Rita Hayworth ou de Greta Garbo, prête à tout pour devenir une vedette.

L’ambitieuse va se faire remettre durement à sa place par Jean-Pierre Castaldi, séduit par son talent, mais agacé par son opportunisme (à mille lieues de la personnalité de la vraie Pauline, comme quoi…). La remise en question sera salutaire puisque Pauline reviendra, la tête bien sur les épaules, pour un casting époustouflant sur une scène des Tricheurs.

 

 

Apparaissant au deuxième acte, l’actrice nuance le propos, apporte au spectacle un vent de fraîcheur et un côté espiègle très ludique qui exacerbe illico le plaisir du public.

Quand elle revient vers nous après avoir longuement salué les spectateurs visiblement ravis d’avoir vécu durant trois heures une expérience unique hors du temps, Pauline ramasse les verres sur les tables. Ici, tout le monde participe à la vie de la troupe au-delà de sa contribution purement artistique. On en connaît qui auraient un peu de mal avec cet autre aspect du boulot. Pauline, elle, range avec le sourire et une belle conviction.

 

« C’est une magnifique expérience. L’ambiance est formidable. Les débuts ont parfois été un peu compliqués, mais maintenant, c’est parti : on sent que le public a enfin entendu parler du spectacle et, ici à Charleroi, on a carrément été pris d’assaut. Chaque soir, les spectateurs sont très différents les uns des autres. C’est surprenant et très plaisant.  Normalement on joue le jeudi, le vendredi et le samedi soir. Plus le dimanche après-midi. Pour l’instant, il y a tellement de demandes qu’on a dû ajouter des séances le mercredi. »

 

 

La tournée, 100% belge pour l’instant (pour des problèmes de droits), a commencé fin septembre à Etterbeek et se poursuivra jusqu’en juin. En tout, plus de 150 représentations sont prévues. Après Charleroi, la troupe se déplacera notamment à Anderlecht, Liège, Chimay, Binche, Ixelles ou Rochefort, une région qui attend SA Pauline de pied ferme.

Le programme complet est disponible ICI et vous pouvez regarder une foultitude d’interviews ici.

 

La boîte à images ? Un spectacle qui donne envie d’aller… au cinéma. Vivement conseillé, vous l’aurez compris.

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