Rencontre avec les autrices de « Pandore », la série que vous allez binge-watcher

Alors que leur excellente série, Pandore (voir notre critique), vient de remporter le Prix du Public au prestigieux festival de Luchon, et de réaliser un excellent démarrage sur la RTBF (le meilleur depuis La Trêve et Ennemi Public, mais à une autre époque!), rencontre avec Anne Coesens, Savina Dellicour et Vania Leturcq, qui reviennent pour nous sur les origines de la série. On a parlé lectures, pouvoir, écriture, politique, justice, médias, et beaucoup de féminisme. Conversation à bâtons rompus sur le populisme, le sexisme, l’âgisme, la ménopause, Bruxelles, le militantisme, et bien d’autres choses encore.

Comment a commencé l’aventure Pandore?

Vania Leturcq

Au début, on s’est trouvé réunies sur un autre projet, qui n’a finalement pas vu le jour. Mais on a eu envie de continuer à travailler ensemble. On discutait. La question centrale, celle qui revenait, c’était celle des droits des femmes. L’envie de dire, avec insistance, que même ici, même aujourd’hui, tout est loin d’être réglé. Même dans des milieux bourgeois, éduqués, privilégiés, ce n’est pas du tout la même chose d’être une femme que d’être un homme. Ce ne sont pas les mêmes opportunités, le même traitement.

Savina Dellicour

On voulait évoquer des thèmes qui nous sont propres en tant que femmes, et qu’on ne voit que rarement à l’écran. Parler de la ménopause, des femmes de plus de 50 ans… De maternité, de grand-maternité, de comment concilier travail et parentalité. En même temps, on n’avait pas envie de faire un truc de femmes comme on l’entend souvent, d’être cantonnées à des petites histoires, des micro-évènements du quotidien.

Anne Coesens

J’avais dévoré le roman de Ian McEwan, L’Intérêt de l’Enfant, qui dépeignait un merveilleux personnage de juge. On s’en est inspirées pour penser Claire Delval, notre juge d’instruction. La juge de McEwan est jusqu’au-boutiste, extrêmement passionnée, et veut tellement émettre le bon jugement, être la plus précise et la plus fine possible, qu’elle en devient obsessionnelle, et que cette obsession finit par lui faire faire des erreurs. On a essayé de transposer ça dans mon personnage, un personnage qui veut tellement rendre la justice, qu’elle finit par être aveuglée par ce sentiment, et commettre elle aussi des erreurs.

Pourquoi avoir choisi ces trois arènes, la justice, la politique, les médias?

Vania Leturcq

On s’est interrogé: où peut-on montrer avec évidence la différence de traitement entre les hommes et les femmes? Anne nous avait parlé de ce personnage de juge d’instruction, et c’est bien là, au niveau de la justice, qu’émerge au grand jour les violences faites au femmes. Et puis nous étions inquiètes par la montée en puissance non pas tant d’une extrême-droite qui s’assume, avec laquelle on sait où on met les pieds, mais plutôt d’une droite conservatrice qui sous couvert de respect des valeurs familiales ré-enferme les femmes à la maison, et tient des positions rétrogrades sur l’avortement, par exemple.

Je me souviens être allée en Espagne il y a quelques années, et il y avait une manifestation dans la rue, car le droit à l’avortement y était remis en question. J’ai fondu en larmes dans la rue. Je pensais pas voir ça un jour. Je suis née dans un monde où l’avortement était légal, autorisé, et où le corps des femmes appartenait aux femmes, et j’arrive passé 35 ans à constater que le droit n’était pas forcément pérenne. 

Savina Dellicour

C’était également des lieux évidents pour traiter du thème du pouvoir. On pouvait y avoir des personnages principaux en position de responsabilité. Quand ils décident de quelque chose, cela a un impact sur beaucoup de gens.

La série , qui plus est grand public, diffusée en prime time, est-elle un bon outil pour parler de sujets de société très forts, même qui fâchent? 

Vania Leturcq

Tout au long de l’écriture, on ne s’est jamais brimé, et on se disait qu’à un moment, il y allait bien y avoir quelqu’un qui allait nous dire: « Là, vous allez trop loin, ça c’est pas possible à 20h50 sur La Une, » mais personne n’a rien dit! On a a été assez surprises finalement de pouvoir dire ce qu’on voulait, comme on voulait, et assumer le fait que l’élément déclencheur de notre série soit un viol, que nous allions montrer dès le premier épisode. Pouvoir aborder ces sujets à une heure de grande écoute, dans une série qui vise à être populaire, on ne pensait pas que la porte serait ouverte à ce point.

Savina Dellicour

On attend maintenant de voir comment le public va réagir. On a l’impression que tout le monde ou presque peut s’y retrouver en fait. Il y a plein de personnages, avec des positions et des avis différents.

On s’est beaucoup demandé: après avoir vu la série, de quoi les gens vont parler à la machine à café? On n’a pas forcément la réponse pour l’instant, mais on espérait en tous cas susciter des débats et des discussions!

Vania Leturcq

On n’a pas voulu dire qui avait raison ou qui avait tort parmi nos personnages, d’ailleurs on a chacune nos opinions, et on n’est pas forcément tout le temps d’accord entre nous. On imagine que les spectateurs ne seront pas forcément d’accord entre eux non plus.

Anne Coesens

On a veillé à ne pas être manichéennes, on voulait que chaque personnage ait sa complexité, autant de forces que de failles et de faiblesses, et à tous les niveaux, même chez les personnages qui pouvaient sembler le plus loin de nous. Notre script doctor nous a vraiment dit: « Vous devez aimer tous vos personnages, et essayer de les comprendre sans forcément les excuser. » On voulait par exemple essayer de comprendre comment les jeunes violeurs en arrivent là. Pourquoi les gens vont ce qu’ils font, pensent ce qu’ils pensent?

Le générique de la série inscrit la série dans un continuum, dans une histoire de la violence faite aux femmes, et des mécaniques du pouvoir. 

Savina Dellicour

L’histoire a un mouvement de en balancier, j’ai l’impression. 

Anne Coesens

C’est même à la limite comme dans Un jour sans fin en fait!

Savina Dellicour

On a eu une espèce d’apogée, on a cru que le monde allait s’ouvrir de plus en plus, mais en fait depuis on dirait qu’il s’est beaucoup rétréci.

Vania Leturcq

On a évidemment beaucoup lu sur le féminisme, et c’est parfois un peu déprimant, cette sensation de backlash, de retour en arrière. Mais ces retours en arrière, ce n’est pas nouveau, c’était déjà le cas dans les années 80 par exemple. 

Anne Coesens

Voir aujourd’hui laPrésidente du Parlement Européen, Roberta Metsola, même si elle dit qu’elle gardera ses idées pour elle et se pliera à la majorité, on sent combien ces alliances politiques peuvent être dangereuses. La fin justifie les moyens, mais jusqu’où on peut aller?

Savina Dellicour

Les idées en soi peuvent nous faire peur, mais je crois que ce qui nous terrifie le plus, c’est cette impression qu’il y a comme un manque de cohérence, ou d’engagement, quand il s’agit d’aller jusqu’au bout pour défendre ses idées. Dans la série, même si elle fait des erreurs, il n’y a que Claire qui est prête à ça finalement. Elle reste fidèle à son sens moral, et ne cède pas à l’opportunisme. Il nous fallait au moins un personnage rassurant à cet égard! 

C’est une série d’enquête, avec la juge d’instruction et l’inspecteur de police, mais c’est aussi un thriller psychologique, puisque le public connaît la vérité, et observe comment les personnages vont y arriver. Pourquoi avoir choisi cette forme-là?

Anne Coesens

C’était clair pour nous dès le début qu’on ne voulait pas faire une série suivant le modèle du whodunnit, qui est coupable, où à chaque épisode, on croit avoir trouvé le ou la coupable… Ce n’est pas là qu’on voulait poser le suspense. 

Et puis un whodunnit impose d’avoir un maximum de personnages, pour avoir un maximum de coupables potentiels. Ici, on pouvait réduire le nombre de personnages principaux, et aller creuser plus loin chez chacun. Explorer leur psychologie, leurs failles, leurs forces tout au long des dix épisodes. 

Savina Dellicour

Dans les whodunnit, on doit cacher plein de choses, mais nous on voulait tout montrer. Il y a plein de scènes aux toilettes par exemple, où les personnages sont seuls avec eux-mêmes (rires). 

Vania Leturcq

On a d’abord commencé à écrire sur des personnages, sur des thématiques et progressivement la forme s’est dessinée. On voulait parler du pouvoir, mais surtout des gens qui ont le pouvoir, qui sont-ils quand ils rentrent chez eux, en privé, quel poids a encore leur travail? Comment se répercute-t-il sur l’intime, et inversement? 

Le suspense dépend des réactions des personnages, pas de l’action. Mais on voulait quelque chose de musclé, de tendu malgré tout. On a écrit nos épisodes en 5 actes, toutes les 10 minutes il y a un retournement. On ne voulait pas quelque chose de psychologisant ou de contemplatif. 

La série est très réaliste aussi dans la facture, dans l’approche des personnages et de Bruxelles, dans toute sa diversité?

Vania Leturcq

Dès le début, on voulait parler de Bruxelles, la ville qu’on connaît, il y avait un vrai désir de cinéma derrière. Et puis la ville résonnait avec nos personnages. Il y a un truc dans Bruxelles qui passe du très beau et très moche, du très organisé au complètement foutraque, un chaos qui fonctionne quand même. On voulait filmer ces personnages perdus dans la ville. Toute la ville

L’un des plaisirs d’avoir autant de rôles, c’était la possibilité de découvrir de nouveaux visages. Certaines personnes nous ont semblé évidentes dès le départ, comme Salomé Richard, avec quoi on a beaucoup discuté du rôle. Pour beaucoup d’autres personnages, on a laissé le champ libre à notre directeur de casting Sebastian Moradiellos, en lui disant : « Surprend-nous! ». A part pour Sacha, où il était important que l’on comprenne que son personnage venait d’une famille où l’Islam était présent, et qu’elle soit racisée, les origines, l’âge, parfois même le genre n’avaient pas d’importance.

On voulait un équilibre, que le casting ressemble à la société, et à Bruxelles.

Savina Dellicour

Pour le personnage de l’inspecteur de police par exemple, Van Bocksel, Nourredine Farihi l’emmène complètement ailleurs. Un Bruxellois pur jus d’origine marocaine, avec un nom flamand, c’était hyper intéressant.

On ne parle jamais du physique des héros, tout le temps de celui des héroïnes… Mais quand même, il fallait l’oser, cette héroïne aux cheveux blancs, grand-mère, ménopausée, et pourtant désirée et désirante.

Anne Coesens

Les journalistes me demandent souvent: est-ce que Claire a peur de vieillir, est-ce que c’est dur pour une actrice de vieillir, physiquement? Mais ce que j’aime dans ce qu’on a fait avec le personnage de Claire, c’est que sa peur de vieillir n’est pas physique, elle assume ses cheveux blancs, mais elle a peur par contre de ne plus vivre les choses avec autant de passion, de ne plus avoir la même force de travail, cette acuité, cette énergie. C’est surtout là que se situe sa peur. Elle a peur de ne plus être aussi performante qu’elle l’a toujours été dans son travail. C’est la peur d’être empêchée.

Savina Dellicour

Il est évident que Claire s’en fout, de ses cheveux blancs, mais pour nous, c’était important. C’est la peur aussi je crois qu’on lui dise qu’elle est trop vieille. Je me rappelle que quand j’étais plus jeune, ma grand-mère ne voulait jamais dire son âge, et je pensais que c’était une coquetterie. Je me disais: « Quand je serai vieille, je trouverai ça cool d’être vieille. » Mais ce que je comprends aujourd’hui, c’est que quand on est vieille, les chiffres sont comme des boîtes. Quand on dit qu’on a un certain âge, les gens nous classent. Et ça c’est terrible. Je repense à ma grand-mère, et je me dis que finalement, mon âge ne concerne personne, les gens n’ont pas à me dire dans quelle boîte me mettre, je fais ce que j’ai envie. 

Vania Leturcq

Pour Claire cette pression vient de l’extérieur, mais pour beaucoup de femmes, c’est comme si elles se mettaient elles-même dans une boîte, par la force des choses. Moi j’ai vu autour de moi des femmes qui se disent « Ah non, je ne peux plus faire ça. » Cette faculté qu’on a à se brimer soi-même.

 

Anne Coesens

Claire ressent ça. Elle sent aussi que son corps faiblit, ce qui la dérange. C’est ça aussi qui la fait réagir, qui la fait mettre autant de force et d’énergie pour vivre encore passionnément.

Savina Dellicour

C’est vrai que dès le début, on a voulu parler de ménopause. J’ai l’impression que chez les femmes, et dans la société, c’est un tabou. Moi j’ai grandi avec l’idée que la ménopause, c’est quand c’est fini. Un discours qu’on a même dans la bouche des médecins. Alors que c’est loin d’être fini! On n’est pas obligé de s’en tenir au yoga. 

Montrer la ménopause, c’est en soi audacieux. 

Vania Leturcq

En fait oui! C’est pour ça aussi qu’on voulait aussi montrer une vraie femme de 50 ans, montrer sa peau, la sueur, les rides, les cheveux. Moi je me demande, comment les femmes peuvent accepter de vieillir si dans les représentations, les fictions elles ne voient jamais des femmes dont le corps change, bouge? On n’a jamais appris à trouver ça beau. Alors que le visage de Johan Leysen, parsemé de rides, on le trouve magnifique. On doit encore apprendre à trouver ça magnifique chez les femmes. Et on avait très envie d’y contribuer. Bon, Anne n’a pas encore beaucoup de rides, mais on va persévérer!

Savina Dellicour

En fait il n’y a pas de juste milieu. C’est soit la jeune femme, la quarantenaire battante, ou la mémé. Où sont les femmes entre deux?

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