Retour sur… « Les Rendez-vous d’Anna »

Une femme, des trains. Elle est cinéaste. Elle parcourt l’Europe pour présenter son film. Au coeur de son errance ferroviaire, blottie dans les alcôves improvisées de chambres d’hôtels impersonnelles, pendue au bout du fil pour tenter désespérément de garder le contact, on s’interroge: que recherche-t-elle? Que fuit-elle? D’où vient cette ultra-moderne solitude?

Les Rendez-vous d’Anna, troisième long métrage de Chantal Akerman, tient tout à la fois du road-movie, de l’autoportrait, ou encore du film expérimental. Le film professe un cinéma frontal, un art du plan fixe, une enfilade de quais de gare, de couloirs de train où se croisent et se décroisent les personnages, qui surgissent puis disparaissent du plan. C’est un cinéma qui prend son temps, à l’image de son héroïne. Elle égrène des rendez-vous planifiés ou pas au hasard de ses pérégrinations de train en train. Elle est avant tout une écoute, une oreille nomade au creux de laquelle se confient d’autres solitudes. Dans un premier temps, Anna est caractérisée par son silence. Au fil des rencontres se succèdent d’inattendus monologues, des confessions spontanées qui ne rendent que plus urgente et espérée celle de l’héroïne. C’est auprès de sa mère qu’elle se confiera enfin. Et elle en a, des choses à confier. A commencer par son désir pour une autre femme. Et son amour inconditionnel pour sa mère.

 

Le film a une qualité fantomatique. Les fantômes de l’histoire, « l’ombre des grands évènements collectifs » comme le dit la réalisatrice, planent sur le récit, et pèsent sur les épaules des personnages, qui les évoquent inlassablement comme sources de leur mal-être, la guerre, ses cicatrices, la crise. D’ailleurs, les personnages ne semblent souvent n’être que l’ombre d’eux-mêmes. Leurs conversations surprennent, tant elles semblent se situer sur des plans parallèles, et ne jamais vraiment se croiser. Le film met en scène l’impossible communication, multipliant les rendez-vous téléphoniques ratés, les appels en absence, les messages sur le répondeur, à la réception de l’hôtel. L’héroïne semble sans cesse courir après un dialogue qui ne survient jamais. Elle finit d’ailleurs le film seule, écoutant les messages de ceux à qui elle n’a pas pu parler.

Mais Les Rendez-vous d’Anna est aussi un film de femme, sur une femme, et la façon entêtante dont elle s’extrait de sa condition. Anne/ Anna est en charge de son désir. Elle n’en a ni peur, ni honte. C’est la femme insaisissable, celle qui a déjà rompu deux fois ses fiançailles, celle qui n’aime pas son amant, celle qui se languit d’une autre femme.

 

Deux anecdotes sur le film pour finir.

  • En 1978, Chantal Akerman fait la promotion du film chez Michel Drucker, qui lui jure avoir vu tous ses films, mais s’interroge: est-ce bien raisonnable de faire de si long plans?

 

  • Le premier assistant réalisateur sur le film était le (futur) cinéaste Romain Goupil. Il a conservé nombre de documents relatifs à la préparation du film et à son tournage, qu’il a confié à la Cinémathèque française au sein du fonds Goupil. On y apprend notamment que le scénario, loin d’une traditionnelle continuité dialoguée, était écrit en prose. Une partie des documents est visible ici.

Les Rendez-vous d’Anna est à (re)découvrir le 10 avril dans le cadre de l’opération 50/50 à Flagey, en collaboration avec la Cinematek, et en présence de son héroïne, la comédienne Aurore Clément. 

Le lendemain aura lieu à Flagey une soirée hommage à la réalisatrice, Chantal?, une lecture du texte de Chantal Akerman, Une famille à Bruxelles, interprété par Aurore Clément, souvent double de la réalisatrice à l’écran. Des images d’un de ses films et la musique jouée au violoncelle par Sonia Wieder-Atherton.

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