Simon Coulibaly Gillard: « La perte du territoire comme la perte de l’enfance »

Entretien avec le jeune réalisateur Simon Coulibaly Gillard, dont le premier long métrage, Aya, est montré en exclusivité à l’ACID. Il nous dit tout sur cette fiction atypique qui emprunte les codes du coming of age classique et nous entraîne à la rencontre d’Aya, jeune fille de 14 ans originaire de l’île de Lahou en Côte d’Ivoire, qui se voit contrainte d’abandonner sa terre et un peu de son identité en même temps que son enfance.

Quelles sont les origines du projet?

Cela fait une dizaine d’années que je tourne dans les pays du Golfe de Guinée, Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Bénin.

J’ai fait 4 films dans cette région, deux courts et deux moyens métrages. Je voulais faire un film sur le littoral africain, mais je ne savais pas où. J’avais acheté une voiture en arrivant en Côte d’Ivoire, avec beaucoup de kilomètres au compteur. Elle est tombée en panne quelques heures plus tard, ce qui a changé tous mes plans, vu que je ne pouvais pas aller bien loin. C’est là que j’ai mis le pied pour la première fois à Lahou. Quand j’ai compris tous les enjeux dramatiques qu’il y avait sur l’île, je me suis dit que ce n’était pas la peine d’aller plus loin, tout était là.

Les films précédents étaient documentaires, y’avait-il déjà en arrivant sur l’île un désir de fiction?

Oui, parfaitement. Michigan Films cherchait un documentariste qui avait un désir de fiction pour déposer un projet auprès d’un nouvel appel à candidatures, l’aide aux productions légères. Il fallait quelqu’un qui fasse avec peu grâce à sa méthode documentaire, et qui ait envie de l’adapter à quelque chose de plus scénarisé.

A la base, je devais tourner une fiction en Belgique, mais je me suis rendu compte que cela ne fonctionnait pas. C’était déjà l’histoire d’une jeune fille et de sa maman, mais j’ai fini par la transposer ailleurs.

Aya-Simon-Gillard

Comment passe-t-on d’une histoire à l’autre?

C’est un sérieux changement d’arène, je suis passé du milieu des courses moto dans le Hainaut, à l’île de Lahou! Mais j’ai gardé l’idée de parler d’une jeune fille et de sa mère célibataire, c’est une situation qui fait écho en moi. Et je savais que là-bas, je pouvais faire des films vite, et à ma façon, et retrouver l’envie de filmer, que je ne trouve que là-bas.

D’autant que dans ces régions d’Afrique, il y a un déficit d’image, de représentations. Et moi je venais relever une sorte de promesse, celle de faire entendre une langue, montrer des paysages, une culture. Il y a une vraie nécessité de partager ces réalités. De défense des identités, qui sont souvent mises en péril. Il n’y a plus que 30.000 locuteurs avikam dans le monde, et c’est le premier film de fiction produit en cette langue. Je ne peux pas repousser la mer, mais je peux partager leur histoire, laisser une trace de qui était là, avant que tout ne disparaisse.

Etre au coeur de cette grande fête du cinéma, pas loin de Fast & Furious, Mylène Farmer ou Spike Lee, c’est une belle récompense.

Un récit classique de coming-of-age dans un contexte très particulier et un endroit peu vu au cinéma?

Ce qui est intéressant dans la fiction, c’est qu’elle « cache » le sujet. Le film est très simple, et finalement très commun, c’est un sujet, l’adolescence, que l’on retrouve peut-être bien dans 50% des films! Je trouve qu’Aya en fait ressemble à ma petite soeur, me parle d’elle. Le sujet du film semble être la perte d’un territoire, mais en fait, c’est vraiment un film sur la perte de l’enfance. Et le sable qui se désagrège était la métaphore parfaite pour ça, pour dire l’espace de l’enfance qui disparait.

Aya-Simon-Gillard

Comment s’est écrit le film? Quand vous arrivez sur l’île, l’histoire est encore à inventer?

L’écriture dépend de la confiance que l’on s’accorde mutuellement. Moi, je peux avoir confiance en Marie-Josée, qui joue Aya, car elle fait preuve de beaucoup de générosité et de partage, et elle a confiance en moi car je prends le temps d’apprendre à la connaître. On écrit aussi le film en mangeant ensemble, en chantant, en dormant ensemble. Les gens me parlent de leur histoire, de leur passé. Moi, je me mets à tisser toutes ces petites histoires. C’est une écriture qui se fait au quotidien, de façon instantanée. On écrit le matin en fonction des accidents qu’on a pu rencontrer la veille. Souvent, les accidents, c’est ce qui est beau dans les séquences. Ensuite, il faut pouvoir les justifier dans le scénario.

C’est aussi une écriture souvent double. On tourne une scène dans laquelle on dit tout et son contraire. On s’ouvre des possibles. Tout est un peu tissé façon puzzle, mais un puzzle avec des pièces en trop.

On a tourné pendant 6 mois, on a monté pendant 6 mois, ce qui est très long pour un long métrage, surtout un long métrage fauché, mais c’était nécessaire. D’abord la méthode, le fait que je tourne tout seul, entraîne beaucoup d’accidents, donc beaucoup de choses à jeter. Ensuite, il faut tout traduire et sous-titre, ce qui est aussi très laborieux. Mais proposer cette expérience inédite le vaut.

Quel était le dispositif de tournage?

J’ai toujours tourné seul, fait le son, l’image, la production exécutive, j’avais donc une certaine habitude, mais là j’ai dû prendre plus de choses en charge, des questions de continuité, d’accessoires, de costumes, de coiffure, c’était de fait plus imposant!

Mais il y a une chose qui est nécessaire pour moi, c’est de faire du cinéma de façon artisanale, avec des gens qui n’ont jamais fait de cinéma, n’ont peut-être même jamais vu de films. Je pense qu’en fait, personne n’a de don pour le cinéma. Le cinéma, c’est un savoir-faire, et tout le monde peut l’apprendre. J’aime ce cinéma qui se fabrique de bric et de broc. D’autant qu’aujourd’hui, les outils numériques nous permettent de transfigurer ce cinéma.

J’ai l’impression que quand on voit aujourd’hui des films tournés avec de toutes petites équipes, on ne s’en rend plus compte. L’économie du film n’est plus si visible à l’écran. Ici, la relation humaine remplace l’argent, et la grandeur de l’équipe.

Du coup mon équipe, ce sont trois entités: ma caméra mon micro et moi, Marie-Josée et sa mère, et mes deux assistants. J’avais fait tous mes films précédents avec Lassina Coulibaly, il est le ciment du film, il est le garant de la tenue du tournage. Il arrive à traduire ma volonté auprès des gens que l’on filme, des gens pour qui le luxe de faire un film n’a jamais été nécessaire. Le deuxième assistant sur ce film était Emmanuel, un jeune du village, il a servi d’interprète, et a aussi tenu le pied de micro quand nécessaire.

On regarde ce qu’on a tourné au fur et à mesure, on s’éduque ensemble au cinéma. Il y a un vrai rapport d’apprentissage, dans les deux sens, même si j’impose beaucoup de choses. En général, on tourne une scène par jour. C’est 6 à 7 heures de prépa, pour 1h de tournage. Le tournage s’appesantit, en quelque sorte, et c’est grâce à ce temps qu’on arrive à tisser le scénario. Cela nous donne un précieux recul.

L’océan est aussi un personnage du film, comment avez-vous choisi de le représenter?

Ce que j’aime dans le personnage de la mer, c’est que c’est à la fois un protagoniste, et un antagoniste, tout advient grâce à elle, et tout advient malgré elle. C’est très palpable sur place. Toute cette société a le choix d’abandonner l’île, ses traditions et ses métiers, pour partir en ville. Ou alors elle choisit de rester, et de faire la paix avec l’océan. Cet océan, c’est un peu un Président, qui aurait une vision sur le monde, qui affirmerait qu’il n’y a pas de futur pour la vie rurale.

Et puis filmer l’eau, c’est un peu une obsession pour moi. J’ai des heures et des heures d’images de la mer, plein cadre, qui bouge. Ce personnage pluriforme qui évolue, tantôt lisse, tantôt exclamatif, c’était une aubaine pour mon obsession. Il était présent dans mes films précédents, mais c’est la première fois que je pouvais lui donner une voix.

Aya-Simon-Gillard

Il y a une volonté de parler d’une Afrique moderne?

J’ai fait jusqu’ici des films en milieu rural, alors que j’ai beaucoup vécu dans les capitales africaines. J’avais envie de parler de la ville aussi, d’ailleurs elle avait beaucoup de place dans le premier montage. La ville peut être un enfer, et on y est souvent propulsé sans aucune préparation. C’est un film dur à raconter, celui de la ville, car je ne suis pas sûr qu’on ait envie de le voir. J’ai l’impression que la vie dans les capitales africaines que je connais, c’est le futur, déjà. Il y aurait un beau film d’anticipation à y faire, car tout y a pris des dimensions incontrôlables. Les relations entre individus y semblent toutes régies par le capital.

Quel est le rôle des scènes dans le cimetière?

Toutes les scènes du film viennent du réel que l’on m’a raconté. Je n’ai rien bâti en Belgique, avant de partir. Les scènes du cimetière, des corps qu’on déterre, j’ai d’abord hésité à les filmer. Mais certains m’encourageaient à le faire.

Je m’y suis finalement confronté, pour voir ce que ça racontait. Et finalement la véracité du propos du film était garantie par ces scènes-là. La solution documentaire était là. Déjà, je devais filmer ce qui n’existait plus, le village englouti. Pour la véracité, il me fallait filmer le cimetière. La réalité, c’est que les habitants doivent mettre leurs morts dans des boîtes en plastique, et oublier le passé. Cela donne l’ampleur de leur détresse.

Quels sont vos projets?

En littérature, j’aime beaucoup les écrivains qui construisent une oeuvre autour de la généalogie, comme Zola ou Knut Hamsun, qui suivent plusieurs membres d’une même famille. Cela me fascine, et j’aimerais faire quelque chose dans ce sens-là, faire confiance aux personnages que j’ai déjà filmés. Par exemple, j’aimerais beaucoup filmer Marie-Josée/ Aya lors de sa première maternité. J’aimerais aussi retrouver les personnages de mes premiers courts. Avoir des personnages récurrents en somme.

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