Sur le tournage de Melody

La scène se passe à Colpach-Bas, un petit village dont vous n’auriez probablement jamais entendu parler à moins que vous n’habitiez dans la région.

Colpach se trouve au Luxembourg, à un saut de puce de la Belgique (on ne se rend même pas compte qu’on traverse la frontière), pas très loin d’Arlon ni de Martelange, là où le frontalier se ravitaille habituellement en carburant.
Le rendez-vous est fixé dans un centre de revalidation, niché au cœur d’un parc. Pour la journée, il s’agira d’une clinique ukrainienne, spécialisée dans les problèmes de fertilité.

 

[Photos Kaos Films / P.P. / Cinevox 2014]

 

 

 

Dans la salle d’attente, face à face, deux femmes blondes, un peu nerveuses, même si elles tentent de le masquer. L’une d’entre elles, une élégante quadragénaire, qu’on devine décidée et volontiers autoritaire, a un accent anglais prononcé. L’autre, plus jeune, feint d’être à l’aise et détendue.

 

« C’est vous qui devriez être nerveuse », lui fait cyniquement remarquer l’Anglaise, agacée par ce dilettantisme.
Et pour cause: c’est la jeune femme qui vient ici pour se faire inséminer avec un ovocyte fécondé qui donnera peut-être à sa compagne de voyage le bébé dont elle a tant rêvé.

 

 

Quand nous sommes passés sur son tournage, Melody terminait son épisode luxembourgeois : trois semaines de scènes intimes en studio ou, comme aujourd’hui, dans des endroits réaménagés par l’équipe déco.

 

Coproduction alambiquée, le deuxième long métrage de Bernard Bellefroid n’a pas été facile à financer. Artemis qui s’est battu pendant de long mois pour permettre au réalisateur désormais brabançon d’offrir une suite à La Régate a dû jongler avec différents partenaires, des aides fédérales et régionales, le fameux tax-shelter aussi, pour réunir le budget nécessaire.

Ce ne fut pas une sinécure, mais le résultat est là: depuis la fin du mois de janvier, le cinéaste a retrouvé les plateaux à la tête d’une toute nouvelle équipe avec les deux magnifiques comédiennes dont il rêvait.

 

 

« Oui, c’est formidable », nous confirme-t-il, tout sourire: « tout se passe jusqu’ici formidablement bien, c’est un vrai bonheur. Comparé à mon tournage précédent où j’étais très tendu, le contraste est impressionnant. »

 

Même s’il trépigne pendant les prises, passant nerveusement d’un pied à l’autre, très attentif à la fluidité de la scène et aux nuances (subtiles) du jeu de ses comédiennes, on sent en effet le réalisateur globalement heureux.

 

 

Pour lui qui ne vit que pour les images, pour raconter des histoires qui le passionnent, le soulagement est perceptible. Depuis la Régate, il a écrit et patiemment peaufiné ce scénario très original qui lui a demandé beaucoup de recherches. Il y a travaillé avec deux femmes : sa compagne Carine Zimmerlin, mais aussi la Française Anne-Louise Trividic qui a plusieurs fois collaboré avec Patrice Cherreau.

 

 

Pendant cette longue période de gestation, faite d’espoirs et de crispations, de phases de découragement aussi, Bernard a même déjà jeté les bases d’un troisième long métrage qui se focalisera sur deux frères dans un milieu totalement différent, avec un acteur belge que nous apprécions particulièrement, mais chuuut, ce n’est ni l’instant, ni le lieu d’en dire plus.

 

 

Melody est l’histoire d’une jeune fille qui rêve d’ouvrir un salon de coiffure, mais n’a pas le premier sou pour cela.
C’est aussi l’histoire d’Emily qui tremble à l’idée de voir le but ultime de toute son existence s’évanouir : elle veut un enfant, mais elle ne dispose plus pour concrétiser son rêve que d’un seul embryon congelé. Elle ne pourra plus jamais en produire d’autres. Sa seule option : trouver un ventre fécond pour que cette vie se développe.

Melody suit donc le trajet de ces deux femmes qui semblent ne rien avoir en commun, leur rencontre, et le petit bout de chemin qu’elles vont devoir parcourir ensemble dans l’espoir de parvenir à une vie meilleure, chacune de son côté.

 

 

Outre le travail de documentation conséquent qui donne au film son authenticité indispensable, l’écriture du scénario a surtout consisté à affiner les relations complexes entre ces deux protagonistes. Un travail qui s’est encore enrichi au fil des répétitions que le trio a menées avant le tournage.

 

« Le scénario a encore beaucoup évolué », nous confirme Rachael Blake, souriante et chaleureuse, heureuse de trouver sa place dans un contexte qu’elle ne connaissait absolument pas.

« Pour l’instant, j’avais surtout travaillé dans des films tirés par l’action (action driven). Ici, ce sont les relations de ces deux femmes, les émotions, leurs personnalités qui font avancer l’histoire. J’adore ça.  »

 

 

Rachael ne s’exprime pas en français, mais pour des raisons de coproduction le film doit être essentiellement parlé dans notre langue.

 

« 51% des dialogues doivent être en français », nous explique Bernard Bellefroid. « Lorsque le film sera terminé, il sera visionné par des spécialistes sourds-muets qui liront sur les lèvres. Pas question donc de jouer en anglais et de postsynchroniser le film ensuite. Ce sont des règles strictes et nous faisons très attention à les respecter à la lettre. Du  coup, j’ai joué de la contrainte pour en faire une force. Dans les situations les plus conflictuelles, celle des deux femmes qui prend le dessus, tente d’amener la conversation dans sa propre langue pour mettre l’autre en position de faiblesse. Finalement, cette contingence devient un élément du récit, c’est bien. »

 

 

Lorsqu’elle doit jouer en français comme dans la première scène à laquelle nous assistons, Rachael est coachée jusque dans les moindres nuances par Bernard Bellefroid. Sa voix rauque et suave se double alors d’un accent carrément irrésistible.

Ce n’est aps un secret : la comédienne est née sourde d’une oreille et a subi pendant les premières années de sa vie une série d’opérations qui a finalement résolu le problème. Son timbre vocal en a-t-il été affecté? En tous cas, il est aujourd’hui unique et carrément hypnotisant.

 

 

Face à cette actrice qui compte déjà plusieurs longs métrages et quelques séries prestigieuses à son actif, la jeune Lucie Debay qu’on connaît pour ses prestations sur scène, quelques courts et pour son premier rôle dans le long métrage d’Olivier Boonjing, Somewhere Between Here and Now, semble déjà comme un poisson dans l’eau. La complicité entre les deux femmes est évidente et il est clair que le rôle sensible qu’elle endosse ici va lui ouvrir très grand les portes du cinéma.

Rencontrée lors d’un casting, Lucie a d’emblée bouleversé Bernard Bellefroid qui en a toujours fait son premier choix.

 

 

Après son épisode luxembourgeois, le tournage de Melody s’est déplacé en Bretagne où seront filmées jusqu’au 8 mars de nombreuses scènes à Rennes, à Brest, puis au bord de la mer dans le Finistère sur la presqu’île de Crozon. L’équipe se rendra aussi en Angleterre dans une configuration très réduite pour mettre en boîte quelques extérieurs.

 

Le montage et la postproduction de Melody ne devraient pas traîner. Le film est attendu aux environs de la rentrée, une période riche en festivals et en événements cinématographiques, idéale pour une œuvre qui s’annonce à la fois ambitieuse et sensible. Bouleversante, même.

 

 

D’ici là, vous retrouverez bien sûr, à de nombreuses reprises, Bernard Bellefroid et ses deux comédiennes sur notre site et même dans les cinémas grâce à un Grand Ecran Cinevox programmé au printemps.

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