Sur le tournage de… « Pandore »

Vendredi 12 février, 18h, -5°. Un immense projecteur éclaire les vitraux de l’Eglise Saint Pie X à Forest. A l’extérieur, un technicien tourne sur lui-même et souffle sur ses mains pour se réchauffer. A l’intérieur, même stratagème. Les comédien·nes sont emmitouflé·es dans des doudounes de circonstance, cachent des bouillottes sous leurs écharpes.

Dehors ça gèle, littéralement. C’est le cas depuis plusieurs jours, et les trois dernières prises de la semaine sont enchaînées à vive allure, avec technicité et efficacité. Un face-à-face tendu entre les deux protagonistes principaux de la série, incarnés par Anne Coesens et Yoann Blanc, interrompu par la comédienne Edwige Bailly, qui interprète la femme de Marc Van Dyck, le personnage joué par Yoann Blanc.

C’est donc un soulagement pour l’équipe de migrer vers la salle paroissiale attenante pour discuter quelques minutes de cette nouvelle série soutenue par la RTBF, Pandore, série d’autant plus attendue que son tournage a dû être décalé de six mois, pandémie oblige. Attendue également, car il s’agit de la première série du fonds créée par un trio féminin: Anne Coesens, Savina Dellicour et Vania Leturcq. Et c’est loin d’être anecdotique.

Une série de femmes, dure, et sombre

Savina Dellicour et Vania Leturcq se retrouvent réunies il y a quelques années par Artemis Productions pour travailler sur un projet de série qui ne verra finalement pas le jour. Elles viennent toutes deux de sortir leur premier long métrage (respectivement Tous les chats sont gris, et L’Année prochaine), et se demandent à quoi va ressembler la suite, tant le passage au deuxième long est réputé difficile. Cette première tentative avortée leur donne le goût de travailler ensemble.

« On s’est vues comme ça pendant un été, avec Anne Coesens, nous explique Vania Leturcq. On discutait, on essayait de voir s’il y avait des envies ou des sujets qui nous parlaient à toutes les trois. Et la question centrale, c’était celle des droits des femmes. L’envie de dire, avec insistance, que même ici, même aujourd’hui, tout est loin d’être réglé. Même dans des milieux bourgeois, éduqués, privilégiés, ce n’est pas du tout la même chose d’être une femme que d’être un homme. Ce ne sont pas les mêmes opportunités, le même traitement. Notre démarche s’est vite affirmée féministe. »

Savina Dellicour complète: « On voulait évoquer des thèmes qui nous sont propres en tant que femmes, et qu’on ne voit que rarement à l’écran. Parler de la ménopause, des femmes de plus de 50 ans… De maternité, de grand-maternité, de comment concilier travail et parentalité. En même temps, on n’avait pas envie de faire un truc de femmes comme on l’entend souvent, d’être cantonnées à des petites histoires, des micro-évènements du quotidien. »

Savina Dellicour

Une série de femmes, résolument. Une série sombre et dure, qui embrasse des thématiques complexes, et s’attaque aux milieux de la justice et de la politique. « Une série de femme n’est pas forcément douce et sociale, résume Vania Leturcq. » « C’est juste poser un regard féminin sur le monde d’aujourd’hui, renchérit Savina Dellicour. Notre producteur est un homme, plus âgé, et on s’est dit si lui ça l’intéresse, c’est que ça intéressera tout le monde. »

Etre trop juste

A l’origine de l’envie de situer l’action dans le milieu de la justice, une lecture, celle de L’Intérêt de l’enfant (The Children Act) de Ian Mc Ewan. Fortement marquée par ce roman, Anne Coesens s’y intéresse, pense à l’adapter, mais les droits sont pris. Mais avec Vania Leturcq et Savina Dellicour, elles retiennent une idée forte, et un personnage, « une juge jusqu’au-boutiste, nous expose l’autrice et comédienne, extrêmement passionnée, et qui veut tellement émettre le bon jugement, être la plus précise et la plus fine possible, qu’elle en devient obsessionnelle, et que cette obsession finit par lui faire faire des erreurs. On a essayé de transposer ça dans mon personnage, un personnage qui veut tellement rendre la justice, qu’elle finit par être aveuglée par ce sentiment, et commettre elle aussi des erreurs. »

Anne Coesens (photo: Gaël Maleux)

« Mark Van Dyck, mon personnage, continue Yoann Blanc, est un homme politique qui au début de la série n’est pas très connu du grand public. Il est député, et incarne une pensée qui existe peu en Belgique francophone, plutôt identitaire, voire populiste. Depuis des années, on lui promet de plus grandes responsabilités, mais quand le moment est venu, on lui reproche son manque de charisme, et il se retrouve remis en cause par d’autres courants politiques au sein de son parti, des représentants d’une droite plus libérale, plus pro-européenne. »

Sauf que Marc Van Dyck est spectaculairement opportuniste. A la faveur d’un accident – il « sauve » une jeune militante féministe qui vient de se faire agressée et violée, qu’il « trouve » dans un parking et amène à l’hôpital – il se retrouve sur le devant de la scène médiatique.

« En fait, c’est une véritable anguille, continue le comédien. Il a un côté très maladroit, mais parallèlement, il se sort sans cesse de situations qui semblent inextricables. C’est un personnage extrêmement riche et complexe. C’était vraiment passionnant d’imaginer cet homme politique, si loin de mes convictions, et d’essayer d’en faire un portrait dénué de stéréotypes. »

Yoann Blanc

C’est à l’occasion de cet accident que les destins de Claire Delval, la juge d’instruction, et Mark Van Dyck vont se croiser. Il ne sont pas tout à fait des inconnus l’un pour l’autre, car le père de Claire était l’un des cadres du parti de Van Dyck, destitué suite à une enquête judiciaire menée par sa propre fille.

On demande aux réalisatrices si les milieux de la justice et de la politique se sont vite imposés pour aborder ces vastes questions sur la place des femmes dans la société. « On s’est interrogé: où peut-on montrer avec évidence la différence de traitement entre les hommes et les femmes? explique Vania Leturcq. Anne nous avait parlé de ce personnage de juge d’instruction, et c’est bien là, au niveau de la justice, qu’émerge au grand jour les violences faites au femmes. Et puis nous étions inquiètes par la montée en puissance non pas tant d’une extrême-droite qui s’assume, avec laquelle on sait où on met les pieds, mais plutôt d’une droite conservatrice qui sous couvert de respect des valeurs familiales ré-enferme les femmes à la maison, et tient des positions rétrogrades sur l’avortement, par exemple. »

« C’était également des lieux évidents pour traiter du thème du pouvoir, ajoute Savina Dellicour. On pouvait y avoir des personnages principaux en position de responsabilité. Quand ils décident de quelque chose, cela a un impact sur beaucoup de gens. » « En fait, continue Vania Leturcq, on voulait rappeler que quelque soit l’ampleur de notre pouvoir, on n’est tous que des êtres humains, faillibles, disfonctionnels. Quand on est dans ces positions de pouvoir, la façon dont on vit sa famille, son intimité, son rapport au corps, par exemple le vieillissement, va avoir des répercussions sur plein de choses, et notamment sur la société. On ne peut pas prendre des décisions absolument objectives. »

Engrenage

On change donc d’arènes et de genre avec cette nouvelle série. S’il y a de l’action, une enquêtrice, (au moins) un crime, coupables, victimes, on est aussi dans l’étude de moeurs, et l’observation aiguisée de l’engrenage qui s’enclenche et va engloutir petit à petit Claire et Mark.

Les autrices ont d’ailleurs elle-même binge watché leur lot de séries, pour explorer l’art particulier de l’écriture des séries, qui ne leur était pas familière. Elles les citent, de bons souvenirs, comme une partie de ping-pong, Top of the Lake, I Love Dick, Succession, Borgen, Unbelievable, When They See Us

« On a eu un très bon script doctor, confie Savina Dellicour, Willem Wallyn, un ancien avocat, dont la famille était en politique. Il nous a fait réécrire tous les épisodes en 5 actes (à l’américaine, pour les quatre coupures pubs!), ce qui nous a obligées à trouver plusieurs retournements par épisode. »

Il y a un plaisir à travailler en équipe, écrire, réfléchir, imaginer. Le format de la série apporte des nouvelles choses, une nouvelle énergie, un nouveau timing, mais aussi une nouvelle reconnaissance. « C’est tellement difficile de faire des films en Belgique, précise Vania Leturcq, on est à peine payé pour l’écriture, le développement. Avec les séries, une fois qu’elles sont sélectionnées par la RTBF, on est payé à chaque étape, pour l’écriture, le développement, ça professionnalise en fait! »

Vania Leturcq

« Pendant trois ans, on allait tous les jours au bureau, avec des collègues, renchérit Savina Dellicour. C’est une énergie très différente que de rester seule chez soi à se demander ce qu’on fait! On discute beaucoup, et le fait de devoir justifier nos intuitions en écriture, ça permet de mener une idée jusqu’au bout. »

« On a aussi appris à pas glorifier ce qu’on écrit, confirme Vania Leturcq. Tu dois aller vite, tu écris une séquence le matin, tu la jettes l’après-midi. Ça apprend l’humilité, ça apprend aussi à accepter la critique, à mettre l’orgueil au bon endroit. »

Sous surveillance

Une énergie et une émulation bien utiles pour faire face à la situation, suite au premier confinement au printemps dernier quand le tournage a dû être repoussé à deux semaines du premier clap, puis pour la reprise à l’automne, un tournage sous surveillance virus, un tournage masqué, inspecté, mais un tournage malgré tout.

« C’est sûr que cela enlève de la convivialité au tournage, remarque Savina Dellicour, la communication non verbale en prend un coup. Ce ne sont pas des conditions idéales, mais on a eu la chance de pouvoir tourner et travailler. »

« On ne va pas se mentir, dit de son côté Yoann Blanc, c’est dur. Ce sont des tournages longs et complexes, où l’ambiance et l’émulation de l’équipe compte beaucoup, et les masques et le Covid n’aident pas. On a clairement l’impression de passer à côté de quelque chose. Mais en même temps, on a la chance de travailler. Moi je fais beaucoup de théâtre, donc je mesure la chance que l’on a. »

Rendez-vous est pris à l’automne prochain pour découvrir la première saison de Pandore, au générique de laquelle on retrouvera, aux côtés d’Anne Coesens et Yoann Blanc, Mélissa Diarra, Myriem Akheddiou, Salomé Richard ou encore Edwige Baily.

 

 

 

 

 

Check Also

Raphaël Balboni: « La Fête du court métrage »

Raphaël Balboni et Ann Sirot parrainent La 3e Fête du court métrage qui se tiendra …