Sur le tournage de… « Une vie démente »

Visite express la semaine dernière sur le tournage de Une vie démente de Raphaël Balboni et Ann Sirot, avec Jean Le Peltier, Jo Deseure et Lucie Debay.

Vendredi 19 juillet. Au coeur du Brabant-wallon, à quelques encablures de Bruxelles, l’équipe d’Une vie démente a posé ses valises dans une belle villa d’architecte, renfermant un atelier d’artistes transformé le temps de quelques jours en studio de tournage.

Au sous-sol, les fenêtres sont obscurcies. Un petit groupe débriefe la prise qui vient d’avoir lieu. Les cinéastes, Ann Sirot et Raphaël Balboni, discutent intentions et nuances avec les comédiens. L’équipe technique, réduite au minimum, règle quelques détails, une cale sous la table, un bol de bonbons à re-remplir.

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Fantaisie et légèreté

Les trois comédiens principaux sont attablés face caméra, costumes assortis. Un dispositif graphique et visuellement marquant à l’image de ce projet atypique, issu de l’appel à candidatures à productions légères lancé par le Centre du Cinéma (comme Losers Revolution ou Fils de Plouc), premier long métrage de Raphaël Balboni et Ann Sirot, dont on connait l’univers fantasque et burlesque développé jusqu’ici dans leurs courts métrages, Avec Thelma, Lucha Libre, Une fable domestique

Pour ce passage au long, les cinéastes ont saisi l’opportunité de perfectionner leur méthode de travail, une méthode bien particulière qui a fait ses preuves sur les précédents films. Assurés d’entrer rapidement en production, ils ont tout d’abord travailler avec leurs comédiens, sur base de quelques pages de traitement, et des décors qu’ils avaient en tête, filmant durant près d’un an les répétitions, avant de mettre la touche finale au scénario.

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Ann Sirot et Raphaël Balboni

L’écriture à l’envers

« Cet appel à projets à production légère était particulièrement intéressant pour nous, insiste Raphaël Balboni, car il nous a permis d’avancer selon notre méthode habituelle, en sachant qu’on serait financés dès le stade du traitement. Nous étions fixés dès le départ sur le budget, mais on savait où et avec qui on tournerait. Pas de casting à changer en dernière minute pour des raisons de coproduction! Cela représente finalement des contraintes financières, certes, mais pas forcément artistiques dans notre cas! »

« C’est vrai que cela s’adaptait particulièrement à notre processus d’écriture à l’envers, renchérit Ann Sirot. En général, on part d’opportunités, de ce que le hasard nous offre, de nos rencontres; puis seulement on écrit. Cela nous a permis d’entrer directement en création en faisant de nombreuses répétitions, sans subir l’abstraction d’une scène écrite et fantasmée sur le papier, et que l’on découvre le jour du tournage. »

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Jo Deseure

Liberté sur le plateau

Les comédiens confirment: « On a fait beaucoup de répétitions, ce qui nous a offert beaucoup de liberté, confirme Jo Deseure. » « C’est vrai qu’il y a une grande liberté sur le plateau, ajoute Jean Le Peltier, d’autant que comme Ann et Raphaël travaillent en couple, ils sont constamment dans l’échange et le dialogue. » « C’est ce qui m’a attirée aussi dans le projet, ajoute Lucie Debay, leur méthode de travail, on a beaucoup travaillé en amont, improvisé, on a participé à l’écriture. On a nourri nos personnages. »

L’équation fictionnelle= fond tragique x forme comique

Le film est à double titre personnel pour les cinéastes: il incarne leur cinéma, mais figure aussi leur histoire. Une vie démente traite de la situation complexe d’un jeune couple confronté à la maladie de la mère du jeune homme. Une maladie dégénérative, la démence sémantique, dont la propre mère de Raphaël Balboni a elle-même souffert.

Mais si le fond de l’histoire, la maladie et la souffrance des proches est tragique, la forme elle est souvent comique. En effet, la malade perd dans un premier temps toute inhibition, et retombe dans une sorte d’état fantasmé d’enfance. Plus de limites, plus de complexes, une certaine idée de la liberté. D’autant que la malade n’a pas conscience de l’être.

« Il y a bien sûr une dimension tragique dans la maladie, explique Ann Sirot, mais cette expérience nous a permis d’observer quelqu’un qui fait précisément ce qu’elle a envie de faire. Philosophiquement, c’est fascinant. Tout ce qu’elle s’autorise nous interroge, nous renvoie à ce qu’on ne s’autorise pas nous-mêmes. En sortant du cadre, elle ouvre le champ des possibles. La maladie prend énormément, mais nous voulions aussi mettre en avant ce qu’elle donne. 

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Jean Le Peltier

Avoir un enfant vs retomber en enfance

Le jeune couple de fiction, Alex et Noémie, va accompagner Suzanne. Alors qu’ils pensent à faire un enfant, ils se retrouvent « parents » malgré eux d’une adulte malade et vieillissante. Ils vont faire face à leur propres doutes et envies, leurs contradictions, mais aussi au monde extérieur contre lequel se heurte sans s’en douter Suzanne. Mais cette supposée folie, que dit-elle de nos quotidiens?

Jean Le Peltier revient sur son personnage: « Alex voudrait contenir la vie qui déborde de sa mère. Il découvre en quelque sorte sa face cachée. Alors qu’il veut faire un enfant, sa mère se transforme elle-même en enfant. » Noémie, le personnage de Lucie Debay, parvient naturellement à prendre plus de distance avec la maladie de sa belle-mère: « De fait, elle voit à quel point Suzanne brise les codes, nous confirme la comédienne, elle voit en quelque sorte les beaux côtés de la maladie. »

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Lucie Debay

Doux et surréaliste, triste et beau à la fois

Si le sujet est grave, les situations comiques amènent une vraie fantaisie au récit, de même que le traitement adopté par les cinéastes. « Dans le tragique de la situation, nous explique Jo Deseure, qui incarne Suzanne, ils trouvent toujours le décalage, un décalage plein de poésie. » « C’est doux et surréaliste, triste et beau à la fois, conclut Jean Le Peltier. »

Le film est produit par Julie Esparbes, pour Hélicotronc, à qui l’on doit notamment Witz de Martine Doyen ou Sonar de Jean-Philippe Martin, mais aussi Avec Thelma, le dernier court métrage du duo formé par Raphaël Balboni et Ann Sirot, ou encore Icare, de Nicolas Boucart, qui était dans la shortlist des Oscars.

Le tournage est encore en cours entre Bruxelles et le Brabant-Wallon jusqu’au 2 août prochain. On devrait découvrir  Une vie démente dans le courant de l’année 2020.

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