Sylvestre Sbille: « Montrer une Belgique qui ne se reconnaît pas souvent au cinéma »

Rencontre avec le cinéaste belge Sylvestre Sbille, qui revient avec Les Grands Seigneurs, son deuxième long métrage après Je te survivrai, sorti en 2014, une comédie sociale emmenée par Renaud Rutten et Damien Gillard, qui sort ce 9 novembre en Belgique.   

Quelles sont les origines du projet?

J’avais l’occasion de travailler sur le film de Benoit Mariage, Les Convoyeurs attendent, sur lequel je m’étais occupé d’un figurant, un personnage qui déchire des bottins, champion du monde de bras de fer. Le soir de la première à Namur, le gars est là bien sûr, je suis avec l’équipe, et au moment où arrive la fameuse séquence, j’entends Benoît Mariage qui chuchote à Benoît Poelvoorde: « Merde, je l’ai coupé au montage et je ne lui ai pas dit ». Le gars ne voulait pas jouer au départ, et il était venu avec toute sa famille. La gêne. On va prendre un verre après avec l’équipe, et on chambre Benoît Mariage, on lui dit: « Tu vas voir, le gars va te kidnapper, et exiger que tu le remettes au montage. »

J’avais trouvé l’idée géniale. En Belgique, on cherche souvent des idées de film avec pas beaucoup de personnages, un décor unique et beaucoup de choses qui se passent, vu qu’on a pas beaucoup de sous. Ca me semblait être l’idée parfaite. Une situation simple, et pas trop chère à tourner!

J’avais écrit tout un scénario, Cyrano de Porcheresse. J’avais même fait des essais filmés, avec Renaud Rutten, mais on avait laissé tomber. Quelques années plus tard, je recroise Renaud, je lui reparle du projet, et il me dit: « Ah oui, le kidnapping, c’était super, mais Cyrano, le film dans le film, c’est trop intello. On va trouver encore plus simple, en gardant l’enlèvement. » Il me parle alors d’un fait divers avec un kidnapping de banquier, et c’est là qu’on a commencé à mélanger les deux.

Moi je suis obsédé par les histoires d’enfermement je crois, c’est au coeur de mon premier film, de mon premier roman… Et puis ça m’intéressait de suivre des gens qui sortent du système, et trouvent un monde de fonctionnement meilleur, ou qui leur correspond mieux. C’est un peu à la mode aujourd’hui avec la décroissance, etc, mais ça me parle. Le retour à la nature, j’y pense depuis longtemps. Notre société capitaliste très sûre et fière d’elle, dominante, on se rend compte que ça ne tient pas sur grand chose finalement. Le Covid nous l’a bien montré.

J’adore observer des gens qui sont ancrés dans leurs certitudes, ce qu’ils pensent être leurs valeurs, mais qui mis face à une situation bouleversante, remettent tout ça en question. Ce n’est pas non plus un film philosophique sur le sens de la vie, mais cette amitié soulève un peu ces questions. Je me demande si je n’ai pas un fond communiste en fait…

« Les Grands Seigneurs » de Sylvestre Sbille

Ce duo, le banquier et l’endetté, amène de la comédie, évidemment.

Ce que j’ai essayé de faire, c’est un peu inspiré des grands classiques de la comédie, un duo formé d’un gars nul en tout, et d’un gars qui est une force de la nature et réussit tout. Comme dans les films de Veber. Sauf qu’ici, si Renaud Rutten incarne le personnage à la Depardieu qui traverse tout grâce à sa grande gueule, on a essayé d’explorer les sous-couches. Le personnage de Renaud veut dès le début créer une amitié avec son banquier. Il est ambigu. Michel de son côté se découvre une capacité à prendre son destin à bras le corps quand il décide de rester avec son kidnappeur, de changer de vie.

Finalement au montage, avec Philippe Bourgueil, on a éludé beaucoup de gags. On a privilégié le sous-texte à la comédie gaguesque. L’amitié et leur nouveau projet de vie permettent aussi de passer un bon moment avec les personnages. Moi à la base, je suis plutôt un bobo, un intellectuel de gauche. Mes comédies, je les aime un peu bancales, qui grattent un peu.

Ce sont aussi des hommes dont masculinité est secouée, ils se retrouvent face à leurs échecs, notamment sentimentaux et familiaux.

Oui! Moi, en tant qu’homme, je trouve qu’on ne me laisse pas beaucoup de place pour la fragilité, le doute, la remise en question. Sur les plateaux, et même parfois en famille, on me demande plutôt d’être autoritaire! C’est très rare de pouvoir raconter nos moments de basculement, et c’est ce que mes personnages vivent. L’homme ne peut pas souvent avoir accès à ses émotions. Ce n’est pas le coeur du film, mais clairement Roger et Michel sont bousculés à cet endroit là, et constatent que ce sont plutôt leurs femmes qui ont été meneuses dans leur vie.

Le film met aussi en lumière une autre Belgique.

Il y a deux mondes en Belgique. Moi j’ai longtemps travaillé à Gosselies, ce n’est pas le même pays que Bruxelles ou le Brabant wallon. Il y a une classe moyenne semi précarisée, que l’on voit peu dans la fiction, qui trouve d’autres manières d’être heureuse, en étant dans la tchatche, dans un autre rythme de vie, plus au jour le jour. Pour Roger, emprunter 5000€, c’est l’occasion de changer de vie! C’est une Belgique qui ne se reconnaît pas forcément au cinéma, alors que c’est la majorité des Belges.

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