Thierry Michel
Chebeya et d’autres vérités

La semaine dernière est sorti sur les grands écrans un documentaire fort cinglant réalisé par un des maîtres belges en la matière, Thierry Michel. L’Affaire Chebeya qui suit le procès des assassins présumés de Floribert Chebeya, un activiste des droits de l’homme a déjà fait grand bruit. Il prouve une nouvelle fois l’attachement du cinéaste aux valeurs essentielles trop souvent bafouées. En Afrique ou ailleurs.

 

 

Le jeudi 3 juin 2010, un homme est retrouvé mort dans sa voiture sur une route de la banlieue de Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo (RDC). Il est à demi dénudé et on trouve près de lui des préservatifs et ongles de femme, ce qui accrédite la version officielle d’un crime sexuel. Il s’agit de Floribert Chebeya, activiste des droits de l’homme et directeur exécutif de l’ONG la « Voix des sans voix », une des plus historiques et importantes ONG du pays. Son chauffeur a disparu, et à ce jour, personne n’a retrouvé sa trace. La veille, Floribert Chebeya avait été convoqué par l’inspecteur général de la police, le célèbre Général Numbi, connu pour sa cruauté lors de répression des manifestations d’opposition et sur lequel Floribert Chebeya menait enquête.

 

L’évènement a fait grand bruit au Congo et ne pouvait pas laisser indifférent Thierry Michel un de nos documentaristes les plus fameux, passionné par l’Afrique et tout particulièrement par le Congo. Cinéaste, photographe, enseignant et journaliste, des mines de charbon aux prisons, du Brésil et du Maghreb à l’Afrique noire, il dénonce les détresses et les révoltes du monde, mêlant parfois fiction et réalité. Ses nombreux films ont non seulement reçu une reconnaissance internationale, avec de nombreux prix prestigieux, mais ils sont également montrés aux quatre coins du globe. Parmi eux : Gosses de Rio au Brésil ; Donka, radioscopie d’un hopital africain en Guinée ; Mobutu, roi du Zaïre au Congo ; Iran, sous le voile des apparences en Iran ; et plus récemment, Congo River et Katanga Business.

 

 

Thierry Michel a aussi été récompensé en 2010 en RDC par la Fondation « Présence Congo ». Ce prix lui a été décerné à l’occasion de l’anniversaire du Cinquantenaire de l’Indépendance, devant de nombreux ministres et le président du Sénat « pour l’ensemble de ses travaux non seulement à vocation pédagogique ou historique, mais également sociologique sur la République Démocratique du Congo». C’est dire s’il fait autorité en RDC, où il a obtenu un statut de « résident spécial » afin de faciliter son travail de témoignage de l’histoire de ce pays.

 

Thierry Michel est né en 1952 à Charleroi en Belgique dans une région industrielle surnommée le « pays noir ». A 16 ans(!), il entreprend des études de cinéma à l’institut des arts de Diffusion, à Bruxelles. Il y vit les derniers bruissements de mai 68 et l’agitation étudiante, prélude à un engagement politique. Au bassin minier et sidérurgique de son enfance, il réalise ses premiers films documentaires Pays Noir, Pays Rouge et Chronique des saisons d’hiver; puis son premier long métrage de fiction Hiver 60 qui raconte la grande grève insurrectionnelle belge de 1960.

Alternant documentaires et fiction, il fait entrer sa caméra dans les murs d’une prison pour son film Hôtel particulier, un hymne à la liberté au cœur de l’enfermement.

Après ces années d’enracinement régional et politique, Thierry Michel part vers d’autres continents à la recherche d’autres solidarités, d’autres utopies. Dans ce Maroc profond qui l’a toujours attiré, il réalise son deuxième long métrage de fiction Issue de Secours, œuvre poétique et mystique au cœur du désert.

 

A la fin des années 80, il opère un retour au réel avec le Brésil bouleversant les gosses de rue et des favelas qu’expriment les émouvants Gosses de Rio et A fleur de Terre. Il y découvre la culture noire, cette culture qu’il va approfondir au Zaïre avec son célèbre et plusieurs fois primé Zaïre, le cycle du Serpent, un portrait impitoyable de la nomenclature et des laissés pour compte de la société zaïroise.

Pendant un bref retour au pays, il filme un ministre déchu au cœur d’un scandale politico policier qui ébranle profondément la Belgique La Grâce perdue d’Alain Van Der Biest avant de reprendre son sac à dos et d’aller interroger le bien-fondé de la charité armée internationale avec Somalie, l’Humanitaire s’en va-t-en guerre.

Quelques mois plus tard, il repart au Zaïre pour y réaliser un film sur l’héritage colonial et la présence blanche dans ce pays après 35 ans d’indépendance, Les Derniers Colons. Quelques jours après son arrivée, il est arrêté, incarcéré et expulsé du pays. Son matériel saisi, il termine son film grâce à ses archives personnelles et aux images tournées lors des repérages. Il réalise un documentaire sur le rapport historique entre Zaïrois et colons blancs durant ces 35 années d’indépendance du Congo/Zaïre, Nostalgie post-coloniale.

 

Après quoi, il repart pour l’Afrique réaliser Donka, radioscopie d’un hôpital africain. Ce tragique portrait humaniste et sans concession de l’hôpital de Conakry en Guinée obtiendra les plus grandes distinctions tant en Europe qu’aux États-Unis. Toujours entraîné dans le sillage de l’Afrique, Thierry Michel engage, après la chute du dictateur Zaïrois, la réalisation d’un documentaire historique qui n’est pas sans rappeler les grandes tragédies shakespeariennes : Mobutu, Roi du Zaïre.

L’Affaire Chebeya s’inscrit donc dans une continuité logique de recherche de vérité visant à démocratiser une société qui, comme tant d’autres, recèle encore trop de secrets inavouables

« Ce qui est en cause au-delà de ce crime », explique le réalisateur, « c’est tout ce processus démocratique en cours en RDC depuis bientôt six ans et dont il m’a paru évident que l’approche des élections signifiait que l’on allait, à nouveau, aiguiser les machettes. Cela s’est malheureusement déjà confirmé depuis par l’assassinat de plusieurs militants des droits de l’Homme par les services de la police et de la sûreté congolaise, dont Floribert Chebeya, qui est le sujet de ce film.  »

 

Car oui, toute vérité est bonne à dire. Et la moindre des  qualités de Thierry Michel n’est pas de se battre à visage découvert pour l’aider à émerger le plus souvent possible.

 

Photo de Thierry Michel © Fiff

 

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