« Un monde »: l’école à hauteur d’enfant

Avec son premier long métrage, Un monde, Laura Wandel offre une immersion aussi puissante que bouleversante dans la vie de Nora, 6 ans, lâchée dans le grand bain de la grande école, et témoin, à sa hauteur, du champ de bataille que peut être une cour de récréation.

Dès le premier plan, la tension est palpable, presque physiquement ressentie. On est avec Nora, derrière elle. On pleure avec elle, on redoute cette première journée à la grande école, on la craint. Les encouragements des adultes, prodigués de si haut, dans une autre stratosphère, sont comme un bruit de fond, à peine apaisant.

Nora voit son frère, Abel, bien décidé à affronter la journée. Alors elle le suit, elle prend sur elle. Elle avance envers et contre tous, avec courage et détermination. Disons-le déjà. Nora est incarnée par la jeune Maya Vanderbeque, révélation cinématographique éblouissante, dont l’énergie qui emporte tout sur son passage rappelle celle d’Emilie Dequenne dans Rosetta, le « petit taureau » dont parlait Jean-Pierre Dardenne.

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Car il va en falloir du courage à Nora pour trouver sa place dans cette micro-société impitoyable qu’est l’école. D’autant que dès les premiers jours, elle est témoin du traitement réservé à son frère, violemment harcelé par une bande de grands, hors du regard des adultes. Nora est perdue, elle hésite, se battre, s’interposer, partir en croisade. Elle veut agir, mais son frère lui impose un douloureux pacte de silence.

C’est à un véritable jeu de rôle que nous convie Laura Wandel avec ce premier long métrage. Pendant un peu plus d’une heure, on se met à la place de Nora. On expérimente son malaise, son vertige, son combat quotidien pour décoder les règles tacites de cette petite société, de ce petit monde, un autre monde. Un monde que l’on avait peut-être oublié, devenu adulte, mais qui ressurgit par flash alors qu’on revit avec Nora ces moments déterminants dans la construction d’une personnalité.

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La mise en scène, remarquable, toujours au plus près de Nora, nous fait ressentir la perte de repères totale de la petite fille, souvent en quête de son équilibre, littéralement (sur la poutre, dans la cour) et métaphoriquement. On vit avec elle une hyper-sollicitation des sens, notamment de l’ouïe, dans le brouhaha permanent de la cour ou de la cantine. On se souvient avec elle des cours de piscine, on la rejoint dans sa bulle sous l’eau, paradoxale apnée qui lui permet de reprendre son souffle, de couper le lien avec l’extérieur pour prendre le recul nécessaire pour affronter la situation.

Un monde dresse aussi le portrait déchirant d’une fratrie, nouant et dénouant le lien qui unit Maya à son frère Abel, un lien viscéral mis à mal par l’écosystème scolaire, où les loyautés sont sans cesse remises en question par le désir brûlant qu’a chacun de s’intégrer, coûte que coûte. Face à l’extraordinaire Maya Vandebeque qui joue Nora, le jeune Günter Duret amène au personnage d’Abel une sensibilité folle qui épouse à merveille les contradictions de son personnage, un petit garçon qui doit faire face, avec les faibles outils dont il dispose, à une construction de soi à travers les codes d’une masculinité toxique déjà bien présente dès l’enfance.

Dans cette jungle qu’est l’école, les adultes sont là, en surplomb parfois, en périphérie souvent, de temps à autres un genou à terre, à hauteur des enfants. On retiendra notamment les présences brèves mais intenses de Karim Leklou, dans le rôle du père de Nora et Abel, et de Laura Verlinden dans celui de l’institutrice.

On voit, bouleversé, tout ce qui échappe au regard des adultes, faute d’être porté à la bonne hauteur. La concentration du point de vue, et la création d’un hors champ physique et symbolique fort font de Un monde un huis clos étouffant, au coeur de l’école. Un film à voir absolument, pour se souvenir parfois, mais surtout pour peut-être changer la manière dont on s’adresse aux enfants, et se souvenir qu’à leur hauteur, l’école est un champ de bataille.

 

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