Waste Land : Bruxelles, la noire.

Le monde est en ruines. À quoi bon, au cœur de ce cauchemar, vouloir encore donner la vie ?

À quoi bon aspirer à devenir père quand on a soi-même connu une expérience familiale désastreuse?
Léo, policier impliqué, époux trop absent, ne voit plus son géniteur que de façon sporadique, quand il s’oblige à aller lui rendre visite dans la maison de santé où il finit ses jours. Là, devant cet homme dur et autoritaire, il redevient soudain un enfant terrorisé.

« C’est moi qui décide quand tu pars » lui lance son paternel alors qu’il fait mine de se lever.

Et Léo de se rasseoir, l’air déconfit.

 

 

 

Alors, quand il est seul dans sa salle de bains, Léo serre les dents et s’entaille les bras avec une lame.

Histoire de se révolter, de se punir, de se sentir vivre.

Histoire aussi de se rappeler que son existence n’est pas une comédie romantique.

 

Quand il apprend que sa compagne est enceinte, il hésite: est-ce pour lui le signal de la rédemption ou une punition divine? Il aimerait se persuader de la première option, mais chassez le naturel…

 

Au boulot, Léo enquête sur des faits divers sordides qui secouent Bruxelles. Le dernier en date? La découverte du corps d’un jeune noir dans un sac-poubelle jeté dans le canal.

Un meurtre qui pourrait être lié à une affaire de trafic d’art africain.

Ou à la magie noire.

 

 

 

Rapidement, pour Léo, c’est cette piste qui prend le dessus et, irrémédiablement, le voilà qui s’enfonce dans un marécage qui se dérobe sans cesse sous ses pieds.

Qui peut le sauver? Son épouse enceinte doit déjà s’occuper de son fils issu d’une première relation. Son meilleur pote nage dans la coke qu’il vole dans les réserves du bureau. Son patron désabusé souffre d’un cancer.

La seule personne sur qui il semble pouvoir s’appuyer est la sœur de la victime, une jolie femme qui pourrait bien lui faire perdre la tête.

 

 

 

Ce tableau angoissant est celui brossé dans Waste Land par Pieter Van Hees à qui on doit deux longs métrages bien trippants: Linkeroever avec Matthias Schoenaerts et Dirty Minds avec Wim Helsen, Robby Cleiren, Kristine Van Pellicom et Peter Van Den Begin qu’on retrouve ici dans le rôle de l’acolyte de Léo.

 

D’apparences assez différentes, ces trois longs métrages s’inscrivent néanmoins dans une trilogie imaginée par l’auteur-réalisateur qui se boucle avec cet opus (très) sombre : « Anatomie d’Amour et de Mal ». Tout un programme…

 

 

 

On vous a déjà parlé de Waste Land à divers reprises : son parcours de production fut en effet très chaotique. À l’origine, Léo devait être interprété par Matthias Schoenaerts et son pote policier par Bouli Lanners, un alléchant duo wallo-flamand pour un film à l’intrigue 100% bruxelloise.

Mais très peu de temps avant le premier clap, Matthias déclara forfait et tout le monde crut que le projet allait péricliter. C’était compter sans l’acharnement des producteurs, Eurydice Gysel et Koen Mortier qui tentèrent par tous les moyens de garder Waste Land à flot.

Un moment le nom de  Jonathan Zaccaï circula, mais cette option-là aussi tomba à l’eau… ce qui libéra in extremis l’acteur pour remplacer Renaud Rutten blessé dans Je te survivrai. À quelque chose malheur est bon.

 

C’est donc dans une troisième configuration (connue du public, on imagine qu’il y a eu d’autres versions envisagées) que le film a été tourné. Une configuration qui n’a rien à envier aux précédentes puisqu’on y retrouve Jérémie Renier dans le rôle principal et Peter Van den Begin à ses côtés. Un choix gonflé pour un film produit majoritairement en Flandre où, malgré son talent, Jérémie reste peu connu.

Pour le reste, au cœur d’un casting homogène fait de comédiens francophones et flamands, on notera un excellent Mourrade Zeguendi pour une prestation courte, mais remarquable ainsi que les convaincantes Babetido Sadjo et Natali Broods qui se disputent l’attention de Léo.

 

 

Égal à lui-même, Jérémie  fait le job: dans un climat de confusion psychologique qui rappelle sa prestation dans le court métrage Intus (vu plusieurs fois à la télé dans le précieux programme Tout Court), il associe à sa déchéance mentale, une décadence physique : plus de dix kilos séparent le flic nerveux du début et le personnage paranoïaque terré dans une chambre d’hôtel aux prises avec ses démons.

 

Loin des polars flamands très esthétiques qui ont secoué le box-office comme Loft, De Zaak Alzheimer ou Dossier K, tournés à l’américaine, Waste Land nous plonge dans un univers opaque et étouffant. La photo très sombre et la musique omniprésente ne nous permettent jamais de reprendre notre respiration. Bruxelles n’en sort pas indemne non plus : filmée dans ses recoins les moins affriolants, elle ressemble à une cité à l’agonie, épousant les dédales paranoïaques de l’esprit du héros. Ou inversement.

 

Sans sourciller, Pieter Van Hees va au bout de sa logique en nous engloutissant dans un cauchemar où la forme de plus une plus chaotique se calque sur l’état mental de Léo. Vous l’aurez compris: on ne sort pas forcément de la salle avec la banane.

Mais ça n’a jamais été l’objectif du projet.

 

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